Tribune
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Publié le 18 Juillet 2012

Antisémitisme musulman en France, nouvel antisémitisme?

Par Edith Occhs

 

D'après le dossier que publie le Nouvel Observateur, le mal qui ronge la jeunesse de nos banlieues a un nom : c'est un "nouvel antisémitisme". Il aura fallu les déclarations du ministre de l'Intérieur, il y a une semaine, pour qu'on cesse de tourner autour du pot. Manuel Valls a parlé d'un antisémitisme nouveau "né dans nos banlieues", mettant en cause de jeunes musulmans - tout en appelant à ne pas jeter "l'opprobre sur nos concitoyens notamment de confession musulmane".

L'antisémitisme est de retour? Belle découverte : tout le monde le savait, mais on aura mis dix ans à le dire, laissant les idées se propager et se transmettre. Aussitôt, le CFCM, qui avait publié un communiqué discret après l'agression de l'adolescent dans le train Toulouse-Lyon, s'inquiète des "accusations autour de l'antisémitisme supposé des jeunes de confession musulmane". Niant en bloc la réalité et exprimant un seul souci : halte à la stigmatisation. "Le ministre de l'Éducation doit trouver un moyen d'aborder ce thème dans les écoles", affirme Malek Boutih.

 

Mais revenons au mot "antisémite". Il fait peur ou fait honte. En effet, il donne mauvaise conscience. Pour beaucoup, ce mot n'existe pas sans la Shoah et le nazisme. Soixante-dix ans après la rafle du Vel d'Hiv, où 13.000 Juifs, dont 4000 enfants, furent arrêtés par la police parisienne les 16 et 17 juillet 1942, il faut rappeler que l'antisémitisme de Vichy ne devait rien au nazisme.

 

Ce mal est désormais associé aux pires monstres enfouis dans notre inconscient collectif, à la bête immonde. "L'antisémitisme, dit le philosophe allemand Theodor Adorno, c'est la rumeur qui court à propos des juifs". Rumeur(s) de toutes natures : leur physique, leur richesse ou leur pauvreté (au choix), leur pouvoir ou leur lâcheté (aussi au choix)... Inutile de véhiculer ici les préjugés, ils ont la vie suffisamment dure sans qu'on y prête la main.

 

Le mot fâche, il blesse. Personne ne veut l'entendre, et personne ne veut s'en réclamer. "Je n'ai pas eu de propos antisémites" affirme Yassine, 18 ans, qui a agressé le jeune garçon dans le train il y a dix jours. Mettons à part le fait que cela augmenterait sa peine de prison, s'il disait avoir agi par antisémitisme, sait-il vraiment ce que le mot "antisémite" signifie?

 

À croire que personne ne le sait plus. On sait seulement qu'il est mal porté depuis la dernière guerre. Le nom, pas la chose. "Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse", disait Musset. Autrement dit : à bas le contenant, on ne veut pas être "traité d'antisémite".

 

Mais qu'en est-il de l'ivresse du contenu, des idées, des préjugés? En effet, beaucoup ont cherché à cerner les contours de l'antisémitisme contemporain, qui a pour principales caractéristiques les contorsions et le déni. On dispose à présent d'un vaste éventail d'expressions. Pierre-André Taguieff a inventé le terme de "judéophobie", Odon Vallet opte pour "l'anti-judaïsme".

 

D'autres évoquent la haine des juifs, et pour beaucoup, l'antisionisme n'est que la forme aseptisée et masquée de l'antisémitisme. Mais quel que soit le contenant, le contenu est-il vraiment différent? Soyons crû : l'antisémitisme, c'est la haine du juif. Certains confondent encore allègrement "juif" -ou "israélite"- et "israélien".

 

La terre d'Islam n'est pas immunisée contre l'antisémitisme, comme peuvent en témoigner tous les réfugiés des pays arabes. Rien n'empêche d'être à la fois antisémite et arabe, raciste et musulman - ou juif, ou chrétien, bien entendu. Même s'il y a eu des Arabes qui se sont battus contre Hitler, ceux qui ont combattu pour ses idées (les SS Mohammed dans le Périgord, le Mufti de Jérusalem, ses partisans en Irak et dans les Balkans) n'étaient-ils pas antisémites au même titre que les collaboseuropéens?

 

Mais face à l'antisémitisme, tout le monde est concerné, c'est la société dans son ensemble qui est menacée : après les juifs eux-mêmes, bien sûr, la grande majorité (malheureusement silencieuse) des musulmans, qui en sont les victimes collatérales.

 

Dans le passé, les crises économiques sont trop souvent allées de pair avec une flambée de l'antisémitisme. Et comme l'antisémitisme est un pousse-au-crime qui rend sourd, aveugle et idiot, un jour, un non-juif peut être victime des criminels parce qu'un imbécile l'aura "pris pour un juif".

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