Tribune
|
Publié le 19 Juin 2014

Au musée des horreurs: YouTube

Par Marc Knobel, Historien, Directeur des Études au CRIF, publié dans le Huffington Post le 18 juin 2014

Et d'un clic nous voici devant la homepage du puissant portail vidéo américain, YouTube. Nous surfons et quelle n'est pas notre écœurement de découvrir de nombreuses séquences vidéos et de la "musique" de plusieurs groupes français, proches des skins ou des néonazis. Citons, entre autres, Légion 88 (groupe mythique de la musique skin française), Kontingent 88 (Au service de nos ancêtres. Le péril rouge ne passera pas), État d'urgence (Skinheads Oi!), Panzerjager (Le sang doit couler, ou Ni synagogue, ni mosquée...); Arianhord (Jeune Française) et le groupe Bunker 84.

Plus loin, nous trouvons ceci: Les Waffen SS Voix et chants. Départ Des Waffen SS Français, une horreur. Le 16 juin 2014, nous tapons sur YouTube l'entrée suivante: "Robert Faurisson". Douze mille occurrences sont présentées. Des centaines au moins sont des vidéos négationnistes. Dans différentes séquences, le négationniste Robert Faurisson pavoise devant un public totalement acquis à sa "cause", et particulièrement attentif ou hilare lorsqu'il parle des chambres à gaz. Cette fois, les films ne sont pas masqués et ne sont pas camouflés par des clips sexy, comme ce fut le cas en 2007. À cette époque, un journaliste racontait que des films de Robert Faurisson qui circulaient sur le Net étaient masqués sous des titres racoleurs.

L'affaire révélée par Libération (4 septembre 2007) montrait que, sur ce site de partage de vidéos, des internautes négationnistes masquaient ces vidéos sous des clips érotiques, voire franchement pornographiques. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Rien n'est masqué et voilà ce que l'on voit: "Robert Faurisson -Le problème des chambres à gaz"; "Dieudonné remet le Prix de l'Infréquentabilité à Robert Faurisson"; "Pourquoi les 'chambres à gaz' sont un mythe. Reportage des USA traduit de l'anglais par M. Vincent Reynouard" (un négationniste condamné à de la prison); "Dieudonné Faurisson le sketch (1ère partie)"; "Dieudonné et son nouveau partenaire comique, le professeur Faurisson. Hilarant et subversif! 2ème partie...", etc.

Plus loin, nous trouvons les vidéos d'un militant d'extrême droite du nom d'Hervé Ryssen, comme celle-ci: "Pourquoi je suis raciste et antisémite". Elles voisinent avec celles du national-socialiste à la française -comme il aime à se présenter lui-même- Alain Soral, un proche de Dieudonné M'bala M'bala. Et puis, il y a toutes ces vidéos racistes et antisémites sur les Roms. Les Roms qui sont tous assimilés à des "voleurs", des "mendiants", des "clochards qui exploiteraient les enfants et qui profiteraient de la générosité du gouvernement"; sur les noirs qui "puent", sont "moches", etc.

Au sujet des noirs d'ailleurs, l'université centrale du Michigan et l'Ohio State University ont mené une étude sur la mauvaise place attitrée aux héros "noirs" dans les jeux vidéo, pointant que la plupart sont affublés d'un caractère violent conduisant à de nombreux amalgames. Que trouve-t-on encore? Un héros blanc qui doit sauver le monde, un Asiatique, petit génie de l'informatique fort en kung-fu et un méchant noir super baraqué, dealer de drogue. Voilà plus de vingt ans que certains jeux vidéos véhiculent sans vergogne, voire revendiquent, de tels stéréotypes racistes (L'Express, 21 juillet 2006).

Autant d'amalgames et de clichés que l'on trouve dans les vidéos où ils sont tous stigmatisés. Il en est de même pour les Arabes, les musulmans. C'est ainsi que sur certaines vidéos, le brun ou l'arabe, généralement musulman, est présenté comme quelqu'un de "dangereux", car "fanatique et fourbe". Bien encadré, il peut se révéler un "valeureux combattant", mais il est "réticent au travail" et "docile".

Dans certaines vidéos, l'homosexualité est considérée comme "une maladie mentale" ou "un problème émotionnel". Dans un autre genre, nombreuses sont les vidéos qui développent des discours anti-occidentaux, justifiés, d'une manière ou d'une autre, par les textes sacrés. On s'étend longuement sur la corruption de la parole divine (le Coran) par les Juifs et les chrétiens. Le Djihad est ainsi conçu et encouragé et des prêcheurs de haine font l'apologie du terrorisme. Dans certaines vidéos, des massacres ont été filmés.

Comment tout cela est-il possible alors que de nombreuses lois forment le dispositif français de lutte contre le racisme et l'antisémitisme: la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (chapitre IV), première loi sanctionnant les propos publics discriminatoires; la loi n° 72-546 du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme; la loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe avec en particulier, création du délit de contestation de crime contre l'humanité; le nouveau Code pénal, entré en application le 1er mars 1994, qui a créé de nouvelles infractions et renforcé la répression des délits racistes (les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement); la loi n°2003-88 du 3 février 2003 visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe ; la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité précise cette circonstance aggravante quand l'infraction est "précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, images, objets ou actes" racistes ou antisémites.

Pour punir les infractions à caractère raciste, la loi prévoit différentes sanctions pénales allant de l'amende, la privation des droits civiques à l'emprisonnement. Par exemple, l'injure raciale est punie de 6 mois d'emprisonnement au plus et/ou d'une amende de 22.500 € au plus, le refus de fournir un bien ou un service fondé sur une discrimination nationale, ethnique, raciale ou religieuse de deux ans d'emprisonnement au plus et d'une amende de 30.000 € au plus. Sur Internet, le dispositif de prévention et de répression a également été renforcé par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Les hébergeurs et fournisseurs d'accès à Internet ont maintenant l'obligation de contribuer à la lutte contre la diffusion de données à caractère pédophile, négationniste et raciste. Votée en 2004, la loi sur l'économie numérique (LEN) a expressément consacré la faculté offerte au juge des référés de prescrire la mesure de filtrage d'un site raciste et antisémite (article 6-I. 8). "L'autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au § 2 (les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services) ou, à défaut, à toute personne mentionnée au § 1 (les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne), toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne."

En 2013, lors du dîner annuel du CRIF, François Hollande s'était élevé contre la diffusion de messages à caractère raciste et antisémite sur les réseaux sociaux et le Net, affirmant que leurs auteurs auraient des comptes à rendre à la justice. Les déclarations de bonne intention sont-elles suffisantes et les services judiciaires sont-ils suffisamment actifs pour améliorer la qualité et le taux de réponse pénale? Parce qu'au final, il faudra attendre qu'un contenu soit signalé pour être éventuellement retiré, ce qui est quelquefois l'usage. Mais combien de centaines, de milliers, de dizaines de milliers d'internautes auront vu ces vidéos négationnistes et racistes avant qu'elles ne soient retirées, si jamais elles le sont un jour?

Et, entre temps, combien de vidéos racistes, antisémites, néonazies, intégristes, islamistes, faisant l'apologie du terrorisme ou homophobes auront été déposées sur ce portail partant ainsi à l'assaut du 2.0 et de l'humaine condition? Lire à la source.