Tribune
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Publié le 16 Janvier 2013

Avoir l’ONU à l’oeil

 

Propos recueillis par Anav Silverman

 

Difficile mission que celle d’UN Watch : veiller au bon fonctionnement de la machine onusienne. Rencontre avec son directeur, Hillel Neuer.

 

Le 7 décembre dernier, Israël présentait à l’Assemblée générale de l’ONU un projet original intitulé « l’entreprenariat pour le développement ». Objectif : permettre aux populations des pays sous-développés d’avoir accès à un emploi sans être freinées par de lourdes contraintes administratives liées à l’établissement de sociétés. C’est la première fois que l’ONU adopte un projet basé sur l’entreprenariat comme moyen de lutte contre la pauvreté et comme procédé pour la création d’emploi et la croissance économique. 129 pays ont voté en faveur de cette décision innovatrice. Pendant que 31 pays arabes et musulmans ont voté contre (neuf pays se sont abstenus). Pour Ron Prosor, ambassadeur d’Israël à l’ONU, si ces pays, qui ont pourtant tout intérêt à promouvoir une telle initiative, l’ont refusée, c’est uniquement parce qu’elle était présentée par Israël. « Ils ont voté ‘non’ car ils sont plus préoccupés par la politique politicienne que par la prospérité de leur peuple ».

 

 

Hillel Neuer, directeur exécutif d’UN Watch depuis huit ans, renchérit : « L’ONU est manipulée et fait office de tribune politique contre Israël. » Une des meilleures illustrations de ce phénomène reste, pour lui, le vote du 29 novembre dernier qui a accordé à la Palestine le statut d’« État observateur non-membre » des Nations unies. Neuer rappelle un autre 29 novembre, celui de l’année 1947. L’ancêtre de l’ONU, la Société des Nations, avait alors voté pour la fin du mandat britannique en Palestine et la partition de ce territoire en deux États. Et donc, de fait, pour la création de l’État d’Israël. Neuer explique pourquoi et comment, au fil des ans, l’ONU a modifié son attitude par rapport à Israël : « En 1948, dix pays arabes et islamiques siégeaient à la Société des Nations, on en compte aujourd’hui 56 ». La décolonisation du Moyen-Orient, de l’Afrique et de l’Asie, depuis les années 1940 jusqu’au milieu des années 1960 a donné naissance à un grand nombre de nouveaux États, devenus membres de l’ONU. Ces États, généralement hostiles au monde occidental et renforcés par le puissant bloc soviétique, ont eu un impact important sur l’ONU, poursuit Neuer.

 

Pour les Palestiniens ou contre Israël ?

 

Toutes les nouvelles nations qui clamaient leur souveraineté et leur indépendance étaient reçues avec enthousiasme. Alors que la souveraineté d’Israël, par contre, était non seulement remise en question, mais considérée comme raciste. Et de pointer, pour preuve, la résolution 3379 adoptée en 1975, qui déclarait que le « sionisme était une forme de racisme et de discrimination raciale ». « L’ONU avait été prise en otage, et ce n’était pas accidentel. Cela consistait en une nouvelle guerre menée contre Israël qui était une délégitimation diplomatique et une négation de son droit à l’existence. » Certes, cette déclaration sur le sionisme a été révoquée 16 ans plus tard, en 1991, mais l’attitude discriminatoire de l’ONU à l’égard d’Israël était désormais consolidée, estime Neuer. « D’ailleurs », ajoute-t-il, « Irwin Cotler, membre estimé du parlement canadien, a déclaré qu’Israël est devenu le Juif parmi les nations. » Les dernières résolutions passées par l’ONU donnent raison à cette métaphore : le 18 décembre dernier, l’Assemblée générale a adopté 9 résolutions contre Israël quant à ses relations avec les Palestiniens. L’une d’elles exige qu’Israël « rende » le Golan à la Syrie.

 

En revanche, aucune de ces résolutions ne mentionne un événement survenu deux jours plus tôt : l’attaque par l’aviation syrienne d’un camp de réfugiés palestiniens près de Damas, qui s’est soldée par la mort de 20 Palestiniens.

 

« Le plus incroyable », s’indigne Neuer, « c’est que ces mesures prétendent se soucier du sort des Palestiniens. Mais l’attitude de l’ONU prouve tout le contraire. Aujourd’hui et depuis deux ans, des Palestiniens sont égorgés, mutilés et expulsés par les forces d’Assad. Et les Nations unies restent complètement indifférentes à leur sort. La farce qui se joue à l’ONU met en évidence un simple fait : il y a une majorité qui vote automatiquement contre Israël. Dont la priorité n’est pas d’aider les Palestiniens, ni de faire appliquer les droits de l’Homme. Le but de ces condamnations systématiques consiste uniquement à prendre Israël comme bouc émissaire. »

 

Une monstrueuse hypocrisie

 

Durant cette seule année, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté 22 résolutions contre Israël. Quatre, seulement, concernaient quatre autres pays : le Myanmar (Birmanie), la Corée du Nord, la Syrie et l’Iran. La Syrie n’est pas le seul pays où les violations contre les droits de l’Homme n’ont suscité aucune réaction de l’ONU.

 

Selon Neuer, les commissions de l’ONU, comme celles censées faire appliquer le respect des droits de l’Homme, sont politiquement manipulées au point que certains États y entrent uniquement pour prévenir toute critique à l’encontre des violations perpétrées dans leur propre pays. C’est le cas, par exemple, de la Chine, Cuba, la Russie, et l’Arabie Saoudite, qui violent constamment les droits de l’Homme, et pourtant, sont membres de cette même commission onusienne.

 

Quant au Soudan, dont le gouvernement commet des génocides, il siège au conseil économique et social de l’ONU.

 

Neuer épingle aussi la Chine : ce pays détient le record mondial d’abus des droits de l’Homme. Pékin occupe le Tibet depuis près de 40 ans, a détruit 6 000 monastères tibétains et continue de persécuter ce peuple.

 

En Arabie Saoudite, les femmes ne sont pas autorisées à voyager sans le consentement de leurs «gardiens». Or, ceux-ci reçoivent des indications directes sur le passage de frontières des femmes. En clair, dans certains secteurs de la société de ces pays, les droits de l’Homme sont quasiment inexistants.

 

C’est donc une monstrueuse hypocrisie que celle survenue en novembre 2011, quand l’UNESCO a nommé la Syrie membre d’une commission dont la responsabilité consiste à veiller au respect des droits de l’Homme. Car depuis deux ans que dure le conflit, les forces d’Assad ont tué près de 40 000 personnes.

 

Quid de la charte onusienne ?

 

Autre exemple choquant de ce paradoxe en matière des droits de l’Homme : la Libye. En 2003, ce pays a présidé la commission des droits de l’Homme de l’ONU. Or, la communauté savait exactement quel genre de tyran était Kadhafi.

 

Neuer cite l’affaire des infirmières bulgares. En 1999, 426 enfants sont infectés par le virus HIV à l’hôpital Az Al- Fateh, à Benghazi, en Libye. Les autorités libyennes accusent alors cinq infirmières bulgares et un médecin palestinien qui travaillaient dans cet hôpital d’avoir délibérément infecté les enfants. Accusés de conspiration avec le Mossad et la CIA, ils sont torturés et jetés en prison.

 

Après leur libération et près de neuf ans plus tard, UN Watch conduit le Dr Ashraf al-Hajuj, ce même docteur palestinien, pour témoigner devant l’ambassadeur de Libye à l’ONU, Nasat Hajjaji. Celui-ci était chargé par l’ONU d’enquêter sur la violation des droits humains par les mercenaires.

 

Le 19 avril 2009, alors que le représentant de la Libye a déclaré que son pays ne pratiquait ni discrimination, ni inégalité, le docteur lui répond : « Je ne sais si vous me reconnaissez. Je suis l’interne en médecine palestinien qui a été sacrifié par votre pays, la Libye, dans l’affaire du virus HIV à l’hôpital de Benghazi. Comment allez-vous me dédommager pour ce que vous nous avez fait subir, à moi et à ma famille ? Nous avons donné plus de trente ans de notre vie pour servir la Libye, tout cela pour être expulsés de notre maison, menacés de mort et devenir les victimes d’un terrorisme d’État. Quand votre gouvernement va-t-il le reconnaître ? Quand va-t-il me demander pardon, à moi, à ma famille, à mes collègues ? » Un témoignage poignant que cite Neuer pour souligner l’hypocrisie en vigueur dans les couloirs de l’ONU. Hypocrisie qui ruine la promesse de la charte onusienne de pratiquer un traitement égal pour toutes les nations, petites ou grandes.

 

Pétrie de bonnes intentions

 

Pourtant, on ne peut faire fi de l’ONU. Pour Neuer, qui était avocat à New York avant de devenir le directeur de UN Watch, il s’agit là d’une « organisation internationale forte d’une influence énorme. C’est une erreur de la rejeter d’un revers de main, comme le font parfois les Israéliens. L’ONU a un immense impact sur l’opinion mondiale. C’est le lieu de rassemblement de divers pays, nations et cultures. Elle travaille et a des contacts avec des bureaux à l’étranger, des journalistes, des politiques, des dirigeants. Elle participe aux décisions politiques mondiales. Les sondages ont montré que l’ONU reste une institution populaire à travers le monde, avec 50 % d’opinions favorables. On ne peut la négliger. » Il ajoute qu’au départ, certaines commissions onusiennes, comme celle des droits de l’Homme, ont été fondées avec les meilleures intentions du monde. Cette dernière, établie en 1946, constituait en fait une réponse à la Shoah. À l’époque, elle était présidée par Éléonore Roosevelt, qui par ailleurs, en tant qu’amie d’Israël, collectait des fonds pour le jeune État juif.

 

René Cassin, aussi, était membre de cette commission.

 

Avocat français, professeur de Droit et juge, il soutenait aussi Israël. « Cassin était un sioniste actif qui militait en faveur des droits civiques pour les Juifs. Il a été lauréat du prix Nobel de la paix », rappelle Neuer. « Durant la guerre des Six Jours, il a écrit de nombreux articles pour la presse française défendant Israël. Un lycée de Jérusalem porte d’ailleurs son nom.» Pour Neuer, UN Watch joue un rôle important dans la supervision du bon fonctionnement de cette institution internationale. « UN Watch existe pour constamment rappeler à l’ONU le but de sa création, le 24 octobre 1945 : sauver les futures générations du fléau de la guerre et réaffirmer leur foi dans les droits fondamentaux de l’homme sans distinction de race, sexe ou religion ».

 

L’année dernière, l’organisation UN Watch a ainsi amené Maikel Nabel, dissident égyptien et ancien prisonnier politique du régime post-Moubarak, à témoigner devant l’ONU. Dimanche 6 janvier 2013, Nabel a visité Israël avec UN Watch dans une mission pour la construction de la paix et pour partager son histoire et sa vision avec le public et la presse israélienne.

 

« Nous avons affaire à des forces mauvaises, même parfois diaboliques, mais UN Watch continuera à interpeller l’ONU pour qu’elle fasse ce qui est juste, même quand personne d’autre ne le fait », conclut ainsi Neuer.

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