Tribune
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Publié le 22 Décembre 2014

Darfour, juste un mot, ils tuent et ils violent

Par le Dr Richard Rossin, publié dans Libération le 18 décembre 2014

L’ONU ne compte plus les morts au Darfour. Pourtant, rien n’a cessé.

Au Darfour, dans le silence médiatique et le murmure diplomatique, les massacres continuent. La situation est tellement intolérable que l’ONU ne totalise plus les morts, le compteur a été bloqué en 2008. Pourtant, rien n’a cessé. Parfois, un entrefilet signale une attaque, un bombardement, des morts, des viols. Mais on répète sempiternellement depuis 2008 : 300 000 morts et plus de 2 millions de réfugiés et déplacés. Le 17 novembre, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, exhorte le Soudan à ne pas bloquer les Casques bleus qui enquêtent sur des accusations de viols collectifs impliquant l’armée au Darfour. Que s’est-il passé ?

Le 31 octobre, 200 femmes et jeunes filles auraient été violées à Tabit, 45 kilomètres au sud-ouest de la capitale régionale, El-Fasher. Une banalité depuis onze ans, mais la mission conjointe de maintien de la paix ONU-Union africaine (Minuad) s’était vue interdite, par l’armée soudanaise, l’entrée dans le village. Néanmoins au 10e jour, elle parvient à mener ses investigations sans, évidemment, trouver de preuves. Le Soudan nie les accusations.

L’enquête a lieu dans une ambiance de peur et de silence. L’armée soudanaise est omniprésente, et certains militaires filment même, avec leur téléphone, les entretiens avec les villageoises. On le sait par le rapport secret interne de la Minuad, rendu public par l’AFP. Vive l’indépendance des enquêteurs et l’absence d’intimidation sur les enquêtées !

Ce n’était pas la première fois qu’un rapport était caviardé. Déjà, le 29 octobre, Ban Ki-moon critiquait publiquement la Minuad pour avoir sciemment minimisé des exactions commises au Darfour dans seize cas (1). Cette fois encore, le rapport officiel affirme n’avoir pu établir de preuve de viols collectifs.

Le Quai d’Orsay se déclare, néanmoins, préoccupé et appelle le gouvernement du Soudan à faire toute la lumière. Le Quai invite donc le Soudan à être juge et partie, parce que des rapports internes aux autorités soudanaises, dont certains ont été publiés notamment aux Etats-Unis, montrent à quel point les exactions sont une politique délibérée.

A l’ONU, il y a de l’agitation dans les bureaux : une mise en cause d’une de ses agences, et le Président soudanais, Omar el-Béchir, est tout de même sous le coup d’une inculpation avec mandat d’arrêt international pour «crimes de guerre», «crimes contre l’humanité» et «crime de génocide» par la Cour pénale internationale (CPI) depuis 2010 ! C’est le seul Président en exercice dans cette situation. Mais, apparemment, cela le gêne peu, il n’a juste pas pu assister aux assemblées générales de l’ONU, et quelques pays lui ont fermé leurs portes (2). La CPI n’a pas de force de police. Le 17 novembre, Ban Ki-moon se déclare, donc, lui aussi préoccupé ! Il «exhorte» même le Soudan à accorder sans tarder un accès à Tabit et sa population pour la Minuad.

Mieux, deux jours plus tard, le Conseil de sécurité appelle le gouvernement du Soudan «à accorder, sans tarder, à la Mission des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour, une liberté de mouvement entière et sans restrictions afin que les soldats de la paix puissent mener une enquête complète et transparente, sans interférence, et vérifier si ces incidents se sont produits».

Mais, rien n’intimide El-Béchir. Le ministère soudanais des Affaires étrangères, à nouveau, refuse l’accès à Tabit et se déclare humilié par la demande. Il est des endroits au monde où l’humiliation invoquée est fréquente, mais où les humiliations contre les populations sont monnaie courante… Lire la suite.

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