Tribune
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Publié le 6 Avril 2016

L’expression de l’antisémitisme sur l’Internet

La culture numérique est l'objet d'une récupération par des franges extrémistes qui pullulent sur le Web.

Par Marc Knobel [1], Directeur des Etudes au Crif, publié sur Trop-libre, le site Internet de Fondapol le 5 avril 2016 
 
« Tous ceux qui considèrent l’antisémitisme comme une violence intolérable devraient s’inquiéter si ce n’est même s’alarmer de ce qui est en train de se passer sur le Net. On y voit, depuis plusieurs années, se multiplier les sites militants et propagandistes qui défendent les thèses néonazies, négationnistes, complotistes et des sites islamistes, racistes et/ou faisant l’apologie du terrorisme. Il est vrai que des groupes et groupuscules violents exploitent le net avec une relative efficacité parce qu’ils comprennent aisément le parti qu’ils peuvent tirer d’une utilisation rationnelle et systématique d’internet. Cette situation s’est aggravée au fil du temps à la faveur de l’évolution technologique et informative, et plus récemment encore, avec l’apparition des réseaux sociaux. Dans cette étude, nous recensons et analysons de manière précise et méthodique les différents rouages d’une machine qui, réconciliant libéraux et libertaires dans une même passion technophile d’une liberté d’expression sans la moindre limite à l’échelle planétaire, constitue le refuge de tous les excès.
 
Les sites islamistes
 
Nombre d’écrits sur les sites islamiques développent des discours anti-occidentaux qui trouvent leur justification, sous une forme ou sous une autre, dans les textes sacrés. On s’étend longuement sur la corruption de la parole divine (le Coran) par les juifs et les chrétiens, qui prêchent par anthropomorphisme, associationnisme et idolâtrie. L’Occident impie est ensuite élevé au rang d’ennemi absolu, puis les diatribes anti-américaines et antisionistes viennent clore le tout. Elles sont si virulentes qu’elles ne doivent pas manquer d’échauffer les esprits de certains jeunes déjà perturbés, en quête d’identité et confrontés au dilemme de vivre dans un choc de cultures. Bref, des sites fondamentalistes qualifient systématiquement l’ennemi, en appellent au djihad et encouragent les attentats terroristes. En 2010, Grâce à des spécialistes de l’islam radical, le journal français Le Parisien a accédé à divers sites sur Internet[2]. La mouvance islamiste utilise elle aussi le « réseau des réseaux » et les sites qu’elle rassemble sont foisonnants et terriblement dangereux. Ces textes, parfois longs de plus de cinquante pages, sont traduits en français. Ainsi, sur un « forum islamique », l’Égyptien Ayman al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaïda, répond longuement (mais pas en direct) à des questions d’internautes. L’un d’eux demande s’il faut « partir au combat ». « Oui, l’assure al-Zawahiri, il y a la possibilité de partir en Irak ou en Afghanistan si la personne trouve un guide de confiance[3]. » Parmi des récits de « référence », on trouve aussi un « Message à la jeunesse » d’Abdullah Youssouf Azzam, cheikh palestinien qui fut à l’origine du premier djihad en Afghanistan. « Rien que le djihad et les armes. Pas de négociation, pas de discours, pas de dialogue », répète celui qui fut l’un des modèles de Ben Laden. « Allah nous prépare pour la victoire », affirme pour sa part, sur une trentaine de pages traduites à partir de cours enregistrés, l’Américain d’origine yéménite Anwar Al-Awlaki. Cet imam extrémiste de 38 ans a été abattu au Yémen fin 2009. Propagandiste djihadiste, il avait fait de la Toile son principal outil d’influence et passe pour avoir été le « conseiller spirituel » de trois des auteurs des attentats du 11 septembre 2001 et plus récemment de Nidal Malik Hassan, un psychiatre de l’armée américaine qui a tué treize personnes en 2009 au Texas.
 
Ces discours guerriers s’adressent également aux femmes, les « cavalières de l’islam » (combattantes tchétchènes ou palestiniennes…)[4].
 
Salafisme ?
 
Chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’université de Montréal (Canada), Samir Amghar est membre de l’Institut d’études de l’islam et des sociétés musulmanes (IISMM). Interrogé par Le Parisien[5], il estime qu’« Internet est devenu la principale source d’information religieuse, mais aussi le principal pourvoyeur de radicalité. Ce n’est plus tant dans les mosquées, lieux traditionnels du débat mais aussi du recrutement des djihadistes avant le 11 Septembre 2001, et où les imams se savent aujourd’hui très surveillés par les services de renseignement, que le jeune musulman français se rend ». À la question de savoir pourquoi une telle personne pourrait être sensible à ce discours, il répond : « Ce jeune âgé de 15 à 35 ans, souvent issu de la deuxième ou troisième génération de l’immigration, est mû par un double besoin de rupture : à l’égard de ses parents, dont il considère l’islam routinier, et du fait de sa quête d’identité. Sa revendication d’un islam éclairé comporte une forte dimension protestataire. » À la question de savoir quelles tendances de l’islam on trouve sur la Toile, Samir Amghar répond : « Toutes. Mais un site sur deux est, selon moi, de tendance salafiste. Car le salafisme, mouvance fondamentaliste qui a pour référence les théologiens d’Arabie saoudite, a été le premier à fonder son mode de prédication et de recrutement de fidèles sur cet outil. On y distingue deux tendances : le salafisme djihadistes, minoritaire, qui prône la violence comme moyen d’imposer la primauté de l’islam dans le monde, et le salafisme quiétiste, qui récuse la violence terroriste tout en préconisant la distance avec l’Occident impie et ses valeurs. Cette mouvance supplante deux autres tendances : les Frères musulmans, dont l’influence s’exerçait par les cours, la diffusion de cassettes et DVD, et les conférences ; et le Tabligh, qui utilisait le porte-à-porte. »
 
Vidéos, selfies et nasheeds ?
 
2014-2015 : des dizaines de djihadistes français ou belges se trouveraient en Syrie. A quoi ressemble leur vie là-bas? Souvent très jeunes, ils tiennent la chronique quotidienne de leurs faits et gestes justement sur… Facebook ou sur YouTube. Un jeune qui se fait appeler Abou Abda -il serait originaire de la région bordelaise- va à la rencontre de jeunes Français qui ont pris les armes contre l’armée d’Assad. Point d’ordre de cette propagande, un homme qui dit avoir été anciennement militaire dans l’infanterie parachutiste et qui encourage maintenant le Djihad. Des francophones qui se mettent également en scène sur fond de musique religieuse: on voit par exemple neuf moudjahidines, ils ont le visage recouvert et portent ou brandissent des kalachnikovs. Ils chantent des nasheeds (poèmes musulmans musicaux). Les paroles sont édifiantes: « Nos efforts sont pour Allah et c’est tant mieux que nous avons la foi… contre les mécréants et (pour) se venger de leurs dégâts… Les ennemis d’Allah, le châtiment vous attendra… Un hommage à Oussama, le seigneur des batailles augmente la foi. » On l’aura donc compris: l’essentiel de l’endoctrinement se fait le plus souvent à partir de vidéos diffusées sur YouTube principalement et certaines de ces vidéos ont été visionnées par des milliers et des milliers d’internautes. C’est ainsi que de nombreux recruteurs postent donc des photos et des vidéos ou des « selfies » pour glorifier le Djihad C’est ainsi que la Toile et les vidéos s’imposent aujourd’hui comme le meilleur « sergent recruteur » des apprentis djihadistes européens vers la Syrie.
 
Les sites d’extrême droite
 
Les sites Internet d’extrême droite pullulent sur la Toile. Ils s’illustrent par un antisémitisme outrancier. En quelques clics ou en effectuant une recherche à base de mots-clés, nous tombons assez facilement sur des blogs ou des sites affichant des contenus xénophobes. Les textes publiés répondent à une logique implacable. Ils s’adressent à des militants ou des gens désillusionnés par la politique et le système, c’est évident. Il s’agit alors d’animer leur militantisme, de l’affirmer ou de l’encourager. Il s’agit aussi de briser les tabous, de les conforter dans leurs choix idéologiques. Ces sites ne sont pas de simples défouloirs. Ils poursuivent un objectif politique. Pour la France, Le Monde du 4 juillet 2011 a mené un très intéressant travail cartographique de l’ensemble de la blogosphère politique en 2011[6]. Or,  en 2007, la proportion de blogs se rattachant à la famille de l’extrême droite dans la blogosphère politique avait été évaluée à 4,4%. En 2011, elle s’élève désormais à 12,5 %, soit 132 sites sur un total de 1 052. Internet est effectivement devenu l’un des terrains de jeu privilégiés des droites extrêmes. Celles-ci ont très vite investi ce nouveau média pour en faire ce qu’elles appellent un « outil de ré-information » et contourner « la pensée unique ». Un autre site, transeuropeextremes.com, a répertorié pour la France 377 sites et blogs à tendance ultra-droite et les a classés par familles : les identitaires, la droite nationale, les traditionalistes, l’entourage du FN, les tendances réactionnaires. Bref, tous les courants de l’extrême droite y sont représentés, sans toutefois de véritable unité idéologique. On peut identifier : un courant « identitaire qui s’oppose au métissage et se positionne violemment contre l’islam. Il a pour horizon une grande Europe des « patries charnelles » qui se résume in fine à une Europe-continent blanc ; D’autres sites représentent le courant « nationaliste révolutionnaire » (NR). Ils sont à la fois nationalistes, anticapitalistes, anticommunistes, anti-américains et très violemment antisionistes et antisémites. Enfin, il y a des blogs et sites catholiques, qui ne sont pas nombreux. Certains sont très influents à l’extrême droite, même s’ils ne partagent pas tous la même idéologie. Si le socle commun est d’être hostile à Vatican II, de faire profession d’homophobie, de s’opposer à l’avortement, à l’euthanasie et à la République, certains versent clairement dans un antisémitisme virulent.
 
Les réseaux sociaux
 
Prenons l’exemple des réseaux sociaux. Depuis quelques années, on peut parler de déferlante antisémite (ou raciste) sur les réseaux sociaux. On se souvient que sur Twitter, le « hashtag #unbonjuif » de certains internautes, avait suscité un nombre record de tweets à caractère antisémite qui témoignaient de la résurgence d’un racisme à l’égard des juifs particulièrement inquiétant. Ce dérapage avait été dénoncé par plusieurs associations qui avaient assigné Twitter en justice pour contraindre le réseau à lui communiquer, avec l’autorisation du juge, les données permettant d’identifier les auteurs de tweets racistes et antisémites[7]. Après des mois de bataille judiciaire, le réseau social américain avait finalement livré « les données susceptibles de permettre l’identification de certains auteurs » de tweets antisémites. Autre exemple : les « pièges à juifs », une soi-disant « plaisanterie » qui sillonnent en Belgique (ou ailleurs) les réseaux sociaux. Il s’agit de clichés qui ciblent les juifs, comme celui-ci : sur son compte Facebook un internaute a déposé une image qu’il a trouvée sur Twitter. Sur ce cliché, on peut y voir un four avec deux billets de banque qui représente un… « Piège à juif.» Sur Twitter, la « blague du piège à juifs » est répandue depuis longtemps. On trouve plusieurs clichés similaires, souvent avec un four renfermant des billets, parfois avec une boîte contenant quelques pièces. Plusieurs sont signalés et retirés au fur et à mesure par le réseau social, mais de nouveaux clichés plus ou moins identiques fleurissent aussitôt[8]. Heureusement, certains twittos et membres de Facebook soulignent le mauvais goût de ces sorties ou en essayant de faire la « morale » à ceux qui postent de telles choses. Et sur Facebook, que trouve-t-on ? Cela fait depuis plusieurs années que des supporters probables et autres fans du polémiste antisémite Dieudonné M’bala M’bala notamment ont investi les réseaux sociaux, en premier lieu Facebook. Les messages qu’ils déposent sont particulièrement violents et le nombre de pages antisémites et racistes ne cesse d’augmenter. Dans une page quelconque d’un compte sur Facebook, on proclame: « Arnaque à la Shoah plus de 42 millions de dollars détournés… » Là, une vidéo du négationniste Robert Faurisson y a été déposée. Ailleurs, on peut lire : « Mensonges sur l’extermination des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale ». Plus loin, quelqu’un a déposé ceci: « Auschwitz: la surprenante vérité occultée: pourquoi les chambres à gaz sont un mythe ». Une autre page proclame « Vaincre l’oligarchie pour les générations futures », elle s’ouvre sur une vidéo de Faurisson. Quant aux dieudonnistes de Haute-Savoie, ils ont déposé une vidéo négationniste: « La vérité sur les camps de concentration: les preuves! » Ailleurs encore, le « Mouvement Quenellier via Quenellesat », affiche « l’hymne de l’ananas » avec « six millions de vue ». Un peu plus loin encore, une caricature immonde et un champ d’ananas… [9]
 
Et sur Youtube ? D’un clic nous voici devant la home page du puissant portail vidéo américain, YouTube. Nous surfons et quelle n’est pas notre écœurement de découvrir de nombreuses séquences vidéos et de la « musique » de plusieurs groupes français, proches des skins ou des néonazis. Citons, entre autres, Légion 88 (groupe mythique de la musique skin française), Kontingent 88 (Au service de nos ancêtres. Le péril rouge ne passera pas), État d’urgence (Skinheads Oi!), Panzerjager (Le sang doit couler, ou Ni synagogue, ni mosquée…); Arianhord (Jeune Française) et le groupe Bunker 84. Plus loin, nous trouvons ceci: Les Waffen SS Voix et chants. Départ Des Waffen SS Français, une horreur. En 2016, nous tapons sur YouTube l’entrée suivante: « Robert Faurisson ». 10.000 occurrences sont présentées. Des centaines au moins sont des vidéos négationnistes. Dans différentes séquences, le négationniste Robert Faurisson pavoise devant un public totalement acquis à sa « cause », et particulièrement attentif ou hilare lorsqu’il parle des chambres à gaz[10]. Mais ce sont surtout les messages et vidéos négationnistes qui prennent de l’ampleur... Lire l'intégralité.
 
Notes :
[1] Marc Knobel est directeur des Etudes au Conseil Représentatif des Institutions juives de France. Il est membre de la commission de lutte contre l’antisémitisme et au dialogue interculturel à la Fondation pour le Mémoire de la Shoah et membre du conseil scientifique de la Délégation Interministérielle de Lutte contre le Racisme et l’Antisémitisme. Il est également rapporteur pour les questions de racisme et d’antisémitisme auprès de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) ; co-directeur du groupe de travail sur l’antisémitisme en Europe de l’Ouest auprès du Global Forum against antisemitism (Israël) ; membre du Conseil consultatif International de l’Online Hate Prevention Institute (Australie) ; Correspondant en France et en Europe de l’Institute (américain) for the Study of Global Antisemitism and Policy.
[2] Le Parisien, 20 septembre 2010, pp. 2-3.
[3] Rappelons qu’Ayman al-Zawahiri avait revendiqué en janvier 2015 les attaques contre Charlie Hebdo, le magazine satirique français. En août 2015, il prête allégeance au mollah Akhbar Mohammed Mansour, chef des Talibans.
[4] Voir à ce sujet : La revue civique, « Combattre le virus raciste et antisémite sur le Net : l’analyse de Marc Knobel », in http://revuecivique.eu/articles-et-entretiens/citoyens-vie-publique/comb...
[5] Le Parisien, 20 septembre 2010.
[8] Voir à ce sujet : i7sur 7, « Les « pièges à juifs » écœurants des réseaux sociaux », 18 mars 2014.