Tribune
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Publié le 11 Juillet 2012

La polémique Michel Onfray-Jean Soler

Par Yeshaya Dalsace, rabbin de la communauté Dorvador, Marek Halter, Aldo Naouri et Antoine Spire.

 

Le texte de Michel Onfray sur "Qui est Dieu ?", le livre très critique de Jean Soler sur les monothéismes, a suscité de vives réactions après sa parution dans "Le Point" du 7 juin 2012. Nous les publions ici.

 

Dans Le Point du 7 juin, Michel Onfray fait grand cas du travail de Jean Soler, présenté comme une immense figure intellectuelle, un héros de l'esprit menant courageusement une guerre salvatrice contre l'hégémonie monothéiste au profit de la réhabilitation du bien précieux perdu par l'Occident : la culture polythéiste, autrement supérieure. L'acteur principal de cette mise sous le boisseau du meilleur de la culture humaine, Athènes, au profit d'une ville honnie, Jérusalem, est bien entendu l'adepte de la religion juive... C'est simple, limpide... Sur trois pages, Onfray se lâche en affirmant un tas de contrevérités, d'imprécisions, d'affirmations caricaturales, tout en faisant croire au lecteur qu'on vient de découvrir enfin, grâce à l'héroïque Soler, comparé au grand Nietzsche, une vérité qu'on voulait si longtemps nous cacher sur la véritable identité de l'affreux et sanguinaire despote de notre culture : le Dieu du monothéisme juif (les autres sont oubliés)...

Cependant, contrairement à ce qu'affirme dans son article Michel Onfray, Jean Soler ne fait nullement dans la nouveauté. Je dirais même qu'il ressort des vieilles lunes avec un dogmatisme de premier de la classe qui récite une leçon bien apprise. Jean Soler viendrait casser six idées reçues, ce que nul avant lui n'aurait osé faire, mais chaque fois Onfray enfonce des portes ouvertes.

 

Il découvre le long et relativement tardif processus d'écriture de la Bible, mais Spinoza avait déjà affirmé cela dès le XVIIe siècle...

 

"La religion juive n'est pas monothéiste, mais monolâtrique", affirme Michel Onfray, le Dieu des juifs serait une idole qui a bien réussi... Le problème dans cette affirmation, comme dans le reste de l'article, est la confusion entre la préhistoire du judaïsme, qui puise en effet dans un fonds culturel polythéiste, et "la religion juive", qui a traversé toutes sortes de phases et n'a pas fini de le faire. Là encore, rien de neuf sur l'Histoire...

 

Pour Onfray, la Bible ne connaît pas l'Universel et incite les juifs à tuer les autres ! Un peu court, comme affirmation ! Au contraire, le plus étonnant dans la Bible, c'est qu'un petit peuple montagnard isolationniste en soit arrivé à une vision universaliste, affirmée à de nombreuses reprises, notamment dans l'ordre de respecter l'étranger, "car tu as été toi-même étranger", "tu aimeras l'étranger comme toi-même" (Lévitique 19,34). L'accusation de restreindre l'interdit du meurtre aux seuls juifs est grave et digne cette fois des pires rumeurs médiévales reprises au siècle dernier avec les conséquences que l'on sait.

 

Onfray nous dévoile ensuite une vérité soigneusement cachée : le Cantique des cantiques parle de l'amour charnel, c'est un texte érotique ! Voilà l'incroyable découverte de Jean Soler ! On se roule de rire...

 

Onfray assène : le Dieu d'Israël est exclusivement ethnique et séparatiste... La preuve : les lois alimentaires et de pureté pratiquées par les juifs... Encore un cliché, et une affirmation simpliste. Ne connaît-il pas ce genre de lois sur la pureté chez ses chers Grecs ? Ne sait-il pas la vertu d'une discipline intérieure ? Quelle contradiction entre ces règles et les principes de l'Universel ? Mais là encore, rien de neuf, c'est la reprise d'un vieux thème antijudaïque trop bien connu, celui d'une époque où l'on jetait volontiers les juifs dans les puits ou sur les bûchers pour leur apprendre les vertus de l'universalisme chrétien...

 

Jean Soler oppose les Grecs épris de paix aux juifs belliqueux... Faut-il rouvrir les classiques helléniques pour se remémorer les guerres entre cités, enlèvements, massacres et viols ? Faut-il rappeler les interminables luttes entre Sparte et Athènes et la politique hégémonique de cette dernière, dont la cruauté envers les vaincus frappa Aristophane ou Xénophon ?

 

Mais le clou est un parallèle doctrinal entre nazisme et judaïsme... C'est d'un goût exquis. On ne relèvera que l'erreur historique : "Les soldats du Reich allemand ne portaient pas par hasard un ceinturon sur la boucle duquel on pouvait lire : Dieu avec nous." Or Onfray devrait savoir que ce ceinturon est très antérieur au régime nazi. On pourrait opposer à ce grand admirateur de la culture polythéiste qu'est Michel Onfray que, s'il y a peut-être une ferveur religieuse dans le nazisme, ce serait plutôt sous la forme d'un retour aux bonnes vieilles valeurs du paganisme germanique, le culte du corps et des forces de la terre. Tout ce que le judaïsme déteste... Impossible, me direz-vous, un païen est forcément un homme de tolérance et un pacifiste, il suffit de regarder l'Histoire glorieuse des empires de l'Antiquité pour s'en convaincre.

 

Par Marek Halter : "Les juifs le gênent"

 

Je l'aimais bien, Michel Onfray. J'ai lu ses livres que j'ai trouvés intéressants. Même lorsque je ne partageais pas ses idées. Voilà un homme qui réfléchit, me disais-je. Le fait qu'il admire autant la culture orale qu'écrite me le rendait plus sympathique encore. Un homme qui s'intéresse à la gastronomie ne pouvait être mauvais.

 

Mais voilà que, dans son plaidoyer pour Jean Soler, il dévoile une face cachée de son personnage. Les juifs le gênent. Se serait-il, lui aussi, comme Voltaire, fait escroquer par un fourreur juif ? Dans son évidente volonté de dénigrer les textes de la littérature et de l'histoire juives, il livre son ignorance.

 

Dieu Un vit le jour dans l'Empire sumérien il y a plus de quatre mille ans, à l'époque d'Abraham. Pourquoi cette idée géniale apparaît-elle en Mésopotamie, et non en Égypte ? Parce que, tant que les hommes utilisaient des pictogrammes pour s'exprimer, une abstraction était inconcevable. En Égypte, dans le monde des hiéroglyphes, même Aton devint soleil. Seule l'apparition d'un alphabet abstrait, l'alphabet cunéiforme, permet de dire et de transmettre les concepts abstraits. Le Dieu invisible n'a donc pu naître qu'avec l'alphabet abstrait.

 

Contrairement à ce que pense Onfray, l'idée d'un Dieu Un, d'un Dieu abstrait, a introduit, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, l'idée de l'homme universel. Car, si les hommes sont faits à l'image de l'Un, qu'ils soient blancs, jaunes ou noirs, ils sont tous frères, tous égaux. Égaux devant Sa face, égaux devant la justice.

 

"Justice", voilà une autre idée révolutionnaire qu'a introduite le monothéisme dans notre histoire. "Justice, justice tu poursuivras", dit le Deutéronome (16.20).

 

Le Dieu des juifs, dit Michel Onfray après Jean Soler, est un dieu tribal. Que dit le texte ? "Vous aimerez l'étranger, car vous avez été étrangers dans le pays d'Égypte" (Deutéronome, 10.19). Les premiers qui ont inventé la journée de repos hebdomadaire sont les juifs. L'ont-ils fait seulement pour eux ? Relisons les Dix Commandements : "Mais le septième jour est le jour du repos de l'Éternel, ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton boeuf, ni ton âne, ni aucune de tes bêtes, ni l'étranger qui est dans tes portes, afin que ton serviteur et ta servante se reposent comme toi" (Deutéronome, 5.14).

 

Je ne reproche pas à Michel Onfray de préférer Athènes à Jérusalem. Encore qu'il est étonnant qu'un homme comme lui préfère une ville d'où les poètes sont bannis par Platon à une ville où ils occupent les places publiques pour dénoncer les injustices, comme ce fut le cas des prophètes. Il eût cependant été moins navrant de trouver Michel Onfray du côté de Renan, et non de celui de Maurras ou, aujourd'hui, d'Ernst Nolte, cet historien allemand qui essaie de nous faire croire que les nazis ont tout appris chez les bolcheviques, et les bolcheviques chez les juifs. Ainsi, la boucle est bouclée : les juifs sont responsables de leur propre mort.

 

Claude Lanzmann instruit le procès Onfray

 

Les polémiques s'accumulent pour Michel Onfray. C'est ainsi un véritable réquisitoire de 60 pages que lui consacrent Les Temps modernes dans le nouveau numéro de la revue dirigée par Claude Lanzmann. L'objet du délit n'est ici pas son texte sur Jean Soler, mais L'ordre libertaire, ouvrage paru en janvier tout à la gloire d'Albert Camus... et très critique envers Jean-Paul Sartre, fondateur des Temps modernes. Voici donc que les sartriens contre-attaquent. Accusatrice en chef, la philosophe Juliette Simont dénonce, dans un pamphlet intitulé Le siècle d'Onfray, un " tsunami de rhétorique, de manichéisme, de malveillance et d'hagiographie perversement accouplées ". Principal " crime " reproché à l'auteur du " Traité d'athéologie " : son goût supposé pour les dichotomies, les oppositions et les " sempiternels binômes " mis au service de sa démonstration. " Onfray ne cesse de célébrer avec pompe et fracas le concret, le vital, le sensuel, le dionysiaque, le bachique, l'affect, et de décrier, dans les stériles symétries dont il est coutumier, l'abstrait, le conceptuel, le théorique, l'idéal et surtout le transcendantal, mot fourre-tout désignant le péché intellectuel en général, dont les pires spécimens proviennent d'Allemagne (Hegel ! Marx !) ou de la rue d'Ulm (Hyppolite l'hégélien ! Sartre le marxiste !) ". Et Juliette Simont de faire de Michel Onfray le " symptôme d'une époque malade " : " Qu'est-ce donc que ce XXIe siècle pour qu'il transforme en héros ou en héraut un moraliste qui frappe sous la ceinture, un philosophe qui répugne à penser, un juge dont le seul principe est la partialité, un libertaire ivre d'autoritarisme dogmatique, un hédoniste qui ignore la joie, un débagouleur de plateaux télévisés ?"

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