Tribune
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Publié le 7 Novembre 2012

La République a-t-elle trop longtemps fermé les yeux sur la montée d'un nouvel antisémitisme ?

Après la visite de Benjamin Netanyahu en France et la commémoration du drame de Toulouse, le Président Hollande a déclaré que « la sécurité des juifs de France est une cause nationale ». La communauté juive est-elle en France en situation d'insécurité ?

Richard Prasquier : Le sentiment d’insécurité a considérablement augmenté au sein de la communauté juive de France pour différentes raisons. Cela est notamment dû à la tragédie de Toulouse, mais au-delà de cette affaire, ce sont les suites de celle-ci qui sont extrêmement inquiétantes. On pense au refus de respecter la minute de silence dans beaucoup de classes, voire d’écoles, particulièrement dans ce que l’on appelle des « quartiers difficiles ». Et puis l'explication, dans certains journaux, de l’action de Mohamed Merah comme de celle d’une victime de la société a choqué beaucoup de juifs. On sait à présent que ce n’est pas le cas et qu’il venait en réalité d’une famille dans laquelle, au-delà de son frère, l’antisémitisme était très fort depuis la génération de ses parents. De plus, il n’y avait aucun facteur de misère sociale pouvant expliquer ses actes. Ensuite, la volonté de nombreuses personnes et organisations de vouloir mettre en avant le caractère raciste et non pas antisémite de l’affaire a également beaucoup dérangé. Comme s’il ne fallait plus vraiment parler d’antisémitisme. Mohamed Merah n’était pas raciste, il a tué des gens de plusieurs races et de plusieurs religions différentes. Le plus terrible est ce qui s’est passé durant les semaines suivantes. Au lieu d’une sidération de la société, il y a eu une augmentation du nombre d’actes antisémites et de déclarations de vénération envers Merah.

 

Gil Mihaely : Il y a effectivement un sentiment d’insécurité au sein de la communauté juive de France, qui est lié aux frictions avec la communauté arabo-musulmane engendrées par plusieurs phénomènes historiques successifs. Tout d’abord, il y a le fait que ces deux communautés issues de la décolonisation, les juifs d’Afrique du nord, mais aussi les Arabes venant du Maghreb, se sont retrouvées dans les mêmes espaces, les mêmes quartiers et les mêmes immeubles. Il s’agit là d’une spécificité française, car dans les autres pays ces communautés sont relativement peu en contact. Ensuite, d’autres problèmes sont apparus entre les deux communautés de France, particulièrement après le conflit de 1962 et l’affirmation d’une identité juive plus forte. Celle-ci ayant été tacitement soutenue par la France sur fond d’entente liée au traumatisme  vécu pendant la Seconde Guerre mondiale. Ensuite, la guerre du Liban a entraîné un amalgame en partie intrinsèque entre israélites juifs et Israéliens, puis les deux intifadas ont entrainé une tension avec la communauté nationale en général, et particulièrement avec les Français issus de l’immigration nord-africaine. Quand a commencé à se constituer une identité commune entre ces derniers, l’un des dénominateurs communs fut le soutien à la cause palestinienne et donc la considération de la communauté juive comme un ennemi. Plus généralement, les nombreux conflits entre Israël et la Palestine, ou dans certains pays musulmans, ont créé un véritable sentiment d’exclusion de la part de la communauté juive. Chaque nouvel événement, de l’affaire Halimi à celle de Mohamed Merah, a continué de cristalliser cette tension et les sentiments respectifs d’exclusion.

 

Des mesures supplémentaires doivent-elles être prises pour assurer sa sécurité ?

 

Richard Prasquier : Il me semble effectivement essentiel que soient particulièrement protégés les lieux de culte et de rassemblement juifs, et surtout les écoles. Les statistiques du service de protection de la communauté juive, en conjonction avec celles du ministère de l’Intérieur, montrent que le risque d’être victime d’agression verbale ou physique est nettement supérieur pour les membres de la communauté juive. Un soutien policier important a d'ailleurs été apporté à la sécurisation des écoles identifiées comme juives depuis l’attentat de Copernic. Le président de la République a d’ailleurs été très clair à ce niveau-là. Nous avons la chance de vivre dans une société où l’antisémitisme est une opinion totalement réprouvée et dans laquelle les gouvernements sans exception luttent contre celle-ci. Le problème n’est donc pas la présence d’un antisémitisme rampant, mais plutôt de l’ultra-violence de certaines minorités, voire microminorités, liée à un endoctrinement fanatique à la haine que j’appelle l’islamisme radical.

 

Gil Mihaely : Il me semble qu’un endroit qui s’affiche publiquement comme juif ou Israélien court un risque bien plus important qu’un autre lieu communautaire. Ces lieux sont concrètement plus menacés. Quand Marine Le Pen incitait les juifs à ne plus porter de kippa pour que l’on puisse exiger des musulmans de ne plus porter de signes religieux, il m’a semblé qu’elle était complètement dépassée, car cela fait bien longtemps que beaucoup de pratiquants n’osent plus porter la kippa. La peur d’être la cible d’agressions verbales ou physiques est une réalité quotidienne dans certains endroits, certaines rues ou certains quartiers.

 

La République française a-t-elle laissé monter un nouvel antisémitisme en fermant les yeux sur certains actes proférés contre la communauté juive ?

 

Richard Prasquier : Nous ne sommes plus au début des années 2000, durant lesquelles il a été très difficile pour les autorités de se rendre compte que les agressions contre les juifs étaient des actes antisémites. À cette époque, tout le monde était habitué à considérer que ce genre d’actes ne pouvait venir que de l’extrême droite, ou bien il était considéré qu’il s’agissait uniquement de réponse inadaptée à un problème d’intégration sociale. Certaines personnes veulent malgré tout continuer de penser qu’il s’agit d’une dérive de l’antisionisme. Cependant, l’antisionisme a largement laissé la place à un véritable antisémitisme sous l’influence d’un islamisme radical qui prône la violence contre les juifs. Je ne crois pas que la France se soit voilé la face, mais la peur d’être taxé d’islamophobe a empêché d’utiliser la terminologie exacte d’antisémitisme. Il ne me semble pas pour autant que l’on puisse regarder le passé en jugeant de ce qui aurait pu être fait. Je dirais simplement qu’il y a eu une sorte de retenue devant les mots, ce qui a mené à une certaine édulcoration de l’antisémitisme. Cela dit, la prise de conscience est de plus en plus grande.

 

Gil Mihaely : Il est impossible d’affirmer que la France a laissé monter l’antisémitisme consciemment, mais ce que j’observe de positif, c’est qu’il y a une prise de conscience de plus en plus grande. Par exemple, à l’issue de l’attentat contre l’épicerie casher, un édito du Monde reconnaissait que, même si cela a longtemps été mal reconnu, il existe concrètement une forme d’antisémitisme qui se développe en France, notamment dans nos banlieues. Il faut également noter l’attitude remarquable de François Hollande face à l’indélicatesse de Benjamin Netanyahu, qui a assuré que tout sera mis en place pour lutter contre les persécutions dont est victime la communauté juive de France. Le pays prend enfin conscience que ce phénomène est plus profond qu’une simple dérive de la conjoncture politique au Moyen-Orient.

 

Le Premier ministre israélien a appelé tous les Juifs de France à venir vivre en Israël, de quoi cela est-il révélateur ? L’État d’Israël est-il la dernière structure capable de protéger les juifs du monde entier de l’islamisme radical et de l’antisémitisme qui le caractérise ?

 

Richard Prasquier : Nous avons tous en tête les déclarations d’Ariel Sharon, appelant tous les juifs à venir vivre en Israël, prétendant que leur sécurité n’était pas assurée en France. Mais Ariel Sharon mettait à tort de l’huile sur le feu. Netanyahu n’a pas commis cette erreur. En tant que dirigeant israélien, sa politique est de dire que le foyer, le centre même, du peuple juif, est sur cette terre-là, et qu’il est donc logique qu’il y revienne. C’est le fondement de l’idéologie sioniste, mais il a rajouté que si les juifs prennent cette décision, ce doit être par idéal, pas par crainte. Cependant, un certain nombre d'entre eux, dont je fais partie, n’envisagent pas de vivre ailleurs qu’en France et ne se sentent pas moins juifs pour autant. Certains pensent que leur vie sera meilleure en Israël, mais ce n’est pas le cas de tous, chacun peut faire ses propres choix. Netanyahu n’a en aucun cas dit que les juifs de France doivent quitter la France, mais plutôt que s’ils souhaitent venir, ils le peuvent. Il n’y a pas la moindre polémique derrière cela. Ces visions se complètent, elles ne sont en rien contradictoires.

 

Gil Mihaely : Les déclarations de Benjamin Netanyahu sont tout a fait déplacées, voire insultantes, bien que ce soit quelque chose de tout à fait banal en Israël. En effet, il y a des organismes qui s’occupent de l’immigration des juifs en France et ailleurs, et ce genre de discours n’a plus du tout sa place à notre époque. Les sionistes pensent qu’Israël est le seul État à pouvoir garantir la sécurité des juifs du monde entier, mais je ne suis même pas sûr que ce discours soit majoritaire au sein de la communauté dans son ensemble. La page est tournée et nous ne sommes pas obligés de continuer à tenir un discours digne des années 1950-60. Pour les sionistes, le judaïsme est une nationalité, mais beaucoup de juifs pensent au contraire qu’il peut être vécu d’une autre façon. Le sionisme est une réponse à l’antisémitisme extrême qui prétend que les juifs n’appartiennent à aucun pays. Le sionisme a accepté cette idée et s’y oppose en défendant l’existence d’un État juif.