Tribune
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Publié le 25 Janvier 2013

Naissance d’un sionisme post-politique

 

Par Luc Rozensweig

 

Le corps électoral israélien surprendra toujours : il nargue régulièrement les sondeurs en sortant de sa manche une nouvelle carte que les augures patentés avaient négligée ou largement sous-estimée. On attendait l’extrême droite religieuse de Naftali Bennett comme nouvelle star politique, dans un contexte de radicalisation à tout va de la société israélienne, et c’est l’extrême centriste Yaïr Lapid, venu de la télé, qui fait sensation : il installe comme deuxième force politique du pays un parti, Yesh Atid (« il y a un avenir ») fondé il y a un an. 

 

 

Les dix-neuf députés qu’il envoie à la Knesset sont des novices en politique, venus de tous les horizons de la société israélienne, une liste à la Prévert où l’on trouve un rabbin orthodoxe, des gens issus des médias, des élus locaux de diverses obédiences, une handicapée en fauteuil, une falasha (juive éthiopienne) et pas de raton laveur, car ce n’est pas casher. Ce qui les rassemble, et qui a séduit l’électorat jeune, urbain et éduqué c’est leur rejet de toute forme d’idéologie issue des traditions du sionisme historique. Ils incarnent une nouvelle société israélienne qui ne veut pas répéter éternellement la querelle Ben Gourion-Jabotinsky, celle du sionisme socialiste contre le sionisme nationaliste.

 

Yaïr Lapid n’a pas repris les recettes de son défunt père, Tommy Lapid, qui s’était taillé, à la fin du siècle dernier, un espace politique en bouffant du rabbin comme les anticléricaux français du temps d’Émile Combes bouffaient du curé. Son exigence à l’égard des ultra religieux se limite à leur demander de supporter plus équitablement le fardeau national en participant à la force de travail et au service militaire, dont ils sont jusque-là dispensés. Sur le plan économique, il est libéral modéré, et soucieux de préserver le niveau de vie des classes moyennes, alors que les performances remarquables de l’économie israélienne ne profitent qu’à la couche supérieure d’entrepreneurs et de financiers. C’est en cela qu’il a pu incarner, mieux que le Parti travailliste, le mouvement social de l’été 2011. Cette révolte n’était pas celle de l’Israël pauvre, mais l’expression de la colère d’une classe moyenne parfaitement intégrée dans le tissu social, qui voyait pourtant ses conditions de vie se dégrader et peser sur elle le fardeau fiscal et les obligations militaires dont les ultras orthodoxes sont dispensés. Lapid n’est pas un fan du «  Grand Israël » de la droite traditionnelle, mais ce n’est pas non plus un peacenik prêt à tout lâcher aux Palestiniens. Il a d’ailleurs lancé sa campagne électorale à Ariel, la plus importante implantation juive en Cisjordanie, et s’est clairement prononcé contre la division de Jérusalem, en cas de création d’un État palestinien.

 

C’est dire que Yaïr Lapid est parfaitement «  Bibicompatible », et choisira sans aucun doute de s’allier avec le premier ministre sortant pour former une nouvelle coalition. Ainsi, Nétanyahaou, en dépit de l’échec subi par la coalition Likoud-Israël Beteinou (- 11 sièges) pourrait se retrouver le « centriste » d’un gouvernement où il aurait à sa gauche Lapid et Tzipi Livni et à sa droite Naftali Bennett plus l’un ou l’autre des partis religieux. Avec six sièges seulement, le parti Hatnua (Le mouvement) de Tzipi Livni n’a pas réussi à persuader l’électeur israélien qu’il était de première urgence de revenir à la table des négociations avec l’Autorité palestinienne. Mais comme elle est lasse des bancs inconfortables de l’opposition, elle a fait des offres de service à Benjamin Netanyahu.

 

Le prochain gouvernement sera donc moins à droite que le précédent, car Yesh Atid est incontournable pour constituer une majorité solide. Il n’est pas certain, cependant, que ce recentrage débouche sur un déblocage rapide du dialogue israélo-palestinien. Il faudrait pour cela que Mahmoud Abbas signale qu’il est capable de sortir de la position maximaliste de l’OLP (frontières de 1967, division de Jérusalem, droit au retour des réfugiés), ce qui est loin d’être le cas. La majorité des Israéliens sont, certes, favorables à la création d’un État palestinien, mais opposés à voir une entité hostile s’établir à quelques kilomètres des centres vitaux du pays. Le précédent de Gaza est là pour refroidir les plus ardents partisans de la théorie de « la paix contre les Territoires ». Les dirigeants politiques ont parfaitement entendu le message populaire : le prix des loyers et du fromage blanc n’est pas une question secondaire au regard de la sécurité de l’État juif. On donne donc à Netanyahu les moyens de poursuivre sa tâche, mais on lui adjoint un homme nouveau, symbole d’une société civile post-idéologique, pour lui rappeler chaque jour que le peuple israélien ne vit pas que d’idéal ou d’attente messianique.

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