Tribune
|
Publié le 28 Juin 2013

Qatar : ce qui s'est vraiment joué avec le changement soudain d’émir

Par Ardavan Amir-Aslani

 

L’annonce à la télévision qatarienne de la démission de l'émir Sheikh Hamad bin Khalifa Al Thani au profit de son fils de 33 ans le 25 juin marque un changement stratégique dans la région.

Annoncée dès le 5 juin dernier par l’hebdomadaire Le Point uniquement, l’éclipse de l’émir du Qatar au profit de son fils était un secret de polichinelle…bien gardé. Comme si les intrigues de cour à Doha relevaient de la Raison d’État en France, à l’instar des manœuvres à la Cour de Louis XVI jadis et naguère ! Tout le monde savait, mais personne ne voulait prendre le risque de le dire avant l’annonce officielle des autorités qataries. C’est désormais officiel depuis mardi 25 juin 2013. Dans un communiqué, le palais a en effet précisé que les Qataris sont invités mardi et mercredi à "prêter allégeance à son altesse cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani, comme émir du pays".

 

Cheikh Hamad  Ben Khalifa Al-Thani a donc abdiqué au profit de l’un de ses nombreux fils, cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani. C’est une bonne nouvelle pour les sujets de Sa Majesté, et pour le PSG dont il est le propriétaire ! Âgé de 33 ans, le nouvel homme fort de cette oligarchie qui a 42 ans d’existence est donc un homme jeune, passionné de football et diplômé de l’École militaire de Sandhurst au Royaume-Uni. Seraient-ce des qualités et des indications suffisantes pour présager d’un grand changement politique au Qatar ? Un basculement vers la démocratie ? Un printemps arabe à la Qatarie ?

 

La réponse est à chercher dans les raisons qui ont poussé l’émir déchu à abdiquer le pouvoir au profit de son fils. Si on laisse de côté la maladie diplomatique qui ne trompe personne, il y a à mon sens deux raisons essentielles. Primo, son échec cuisant en Syrie. Il y a deux ans, il avait promis à ses alliés occidentaux que le régime de Bachar Al-Assad ne tiendra pas six mois. Secundo, la marge de manœuvre qu’il s’est octroyée dans l’appui aux islamistes, dépassant ainsi le seuil de tolérance américain. C’est que le Qatar est allé trop loin dans le soutien financier et militaire à des salafistes qui sont encore considérés par l’administration américaine comme étant des groupes terroristes. Notamment Al-Qaïda, et pas seulement en Syrie, mais en Irak, en Libye, au Mali et en Somalie.

 

Des indices viennent renforcer cette hypothèse. Avant même son intronisation officielle mardi 25 juin, le nouvel émir cheikh Tamim a pris trois décisions en rupture avec les orientations politiques de son père. Il a "invité" le chef du Hamas, Khaled Mechaal, et cinq autres de ses compagnons à quitter le Qatar pour l’Égypte. Il a limogé le puissant Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, cheikh Hamad Ben Jassem, qui cumulait ces deux fonctions depuis 2007. Il a mis fin à l’activisme tous azimuts de Qatar Charity, qui, selon certains rapports des services occidentaux, a parfois confondu travail humanitaire et assistance logistique aux terroristes, aussi bien dans certains pays arabes qu’en Afrique. Selon certains quotidiens libanais, il aurait même retiré la nationalité qatarie à Youssef Qaradaoui, prédicateur officiel d’Al-Jazeera et guide spirituel du wahhabisme qatarien nonobstant son appartenance aux Frères musulmans !

 

Si tout cela s’avère exact, le transfert du pouvoir du père au fils serait effectivement annonciateur d’un changement stratégique et pas seulement tactique au sein de cet émirat grand comme la Corse et, depuis le printemps arabe, puissant comme l’Égypte ou l’Arabie Saoudite. Il est encore très tôt pour préjuger de l’avenir. Mais par-delà la démarcation de l’islamisme djihadiste, qui répond d’ailleurs aux nouvelles exigences anglo-américaines, d’autres signes forts sont à espérer pour pouvoir affirmer que ce qui vient de se produire au Qatar n’est pas seulement un changement tactique dans la continuité stratégique. Parmi ces signes forts et qui ne seraient pas des moindres, l’abolition du wahhabisme comme idéologie officielle du régime et la libération du poète Mohamed Al-Ajami, alias Ibn Al-Dhib, qui a été condamné en première instance à perpétuité, une peine ramenée à 15 ans de prison ferme. Objet du délit, son poème qui rendait un vibrant hommage à la révolution de jasmin tunisienne, dans laquelle Al-Jazeera avait joué un rôle déterminant ! 

 

Ardavan Amir-Aslani est avocat au Barreau de Paris. Il conseille les entreprises françaises et étrangères dans leurs opérations de fusions-acquisitions transnationales ainsi que les grands fonds d’investissement. Il intervient dans le domaine du droit public international et représente plusieurs États à travers le monde. Il est auteur d’essais dont le dernier : Iran-Israël, Juifs et Perses a été publié chez Nouveau Monde éditions.