Tribune
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Publié le 26 Février 2013

Qui se souvient des zoroastriens ?

 

Par Sandra Ores - Metula News Agency

                                                  

La légende raconte qu’à la naissance de Zoroastre, c’est toute la nature qui célébra sa venue au monde ; l’on dit également que le prophète du zoroastrisme est le seul enfant à avoir ri, au lieu de pleurer, en respirant pour la première fois hors du ventre de sa mère. 

 

Cette fable illustre avec finesse l’importance de la joie et de la nature au sein de la religion zoroastrienne. C’est à l’âge de bronze, au premier millénaire avant notre ère, qu’apparaît cette doctrine monothéiste, l’une des plus anciennes au monde. Inspiré des divinités locales, le zoroastrisme se développe en Perse, la région où se situe l’actuel Kurdistan iranien, dans l’ouest du pays.

 

Pendant plus de quatre siècles, entre 224 et 651, le zoroastrisme devient la religion officielle de la Perse, sous le règne des Sassanides. Pendant cette période, l’Eranshahr1 (le pays des Iraniens), représente l’une des principales puissances en Asie occidentale et centrale, aux côtés des empires romain puis byzantin.

 

Ces années reflètent l’âge d’or de la civilisation iranienne ancienne. Le royaume est alors dirigé par un pouvoir fort et centralisé possédant un vaste réseau de communication. L’artisanat et l’exploitation agricole se développent, tandis que la monarchie excelle dans les échanges internationaux de produits manufacturés, notamment avec la Chine.

 

Le dernier monarque sassanide meurt sans successeur, en 651, après sa défaite contre le califat arabe.

 

Aujourd’hui, il reste moins de deux cent mille zoroastriens en Iran et dans le monde. La moitié d’entre eux vit dans le nord de l’Inde, une région où nombre de fidèles de Zoroastre se sont installés au VIIIe siècle, fuyant les persécutions religieuses qu’ils subissaient dans leur pays, tombé sous domination musulmane.

 

Ils se nomment les Parsi [ou Farsi], qui signifie perse, dans la langue du même nom. On trouve également une petite communauté zoroastrienne au Pakistan. En Iran, leur nombre se situe à ce jour en dessous de vingt-mille. Pour des raisons économiques ou politiques, nombreux sont les zoroastriens à avoir gagné l’Occident, à partir d’Iran ou d’Inde, notamment les États-Unis, le Canada, l’Angleterre ou l’Australie.

 

Le zoroastrisme est synonyme de vie, de joie et de fête, et les occasions de se réjouir, dans cette croyance, sont nombreuses. Chaque mois de trente jours porte le nom d’un ange, de même que les jours qui le composent ; lorsque le nom d’un jour est identique à celui du mois, la religion veut que les zoroastriens le célèbrent.

 

Le mois dernier (le 29 janvier exactement), on célébrait la fête de Sadeh (centaine, en persan),  l’une des principales du calendrier, avec le jour de l’an. À cette occasion, les zoroastriens honorent le feu ; ils chantent et dansent autour des flammes - cette pratique est toutefois uniquement suivie en Iran, elle s’est perdue au sein des communautés émigrées.

 

Cet élément de la nature constitue un symbole divin pour les fidèles de la religion ancestrale, et, dans chaque temple zoroastrien, brille un feu éternel. La famille de Shahin Bekhradnia est originaire d’Iran, et s’est établie à Londres il y a une génération.

 

Shahin est aujourd’hui la porte-parole de l’Organisation mondiale Zoroastrienne, un réseau formé en 1980, en réponse au mouvement d’émigration d’Iraniens vers l’Occident, regroupant des adeptes aux quatre coins du globe. Elle m’explique : "le feu est le symbole de ce qui est pur ; il représente la clarté, la propreté, la netteté, la vérité".

 

Ses explications font écho aux propos de Zoroastre, selon lequel le pire péché pour l’homme s’illustre dans le mensonge.

 

Shahin Bekhradnia précise : "Nous respectons le feu, mais nous ne l’adorons pas ; il nous rappelle le soleil. Il est synonyme de vie et d’énergie".

 

Les zoroastriens s’attachent à respecter la nature ainsi que tous les êtres vivants. Aucun sacrifice animal n’est permis. Au sein de la communauté, les deux sexes sont égaux - il existe même des prêtres femmes, aujourd’hui en Iran ; le zoroastrisme rejette en outre l’esclavagisme ainsi que toute forme de soumission de l’être humain à ses semblables.

 

Ervad Faredoon Karkaria est le prêtre de la communauté parsi du Bangalore. Il me résume comme suit ce que signifie être un bon zoroastrien : "humata, hukhta, huversta !" - "bonnes pensées, bonnes paroles, bonnes actions !"

 

Il existe un dualisme dans le zoroastrisme, entre deux forces auxquelles a donné naissance Ahura Mazda (seigneur sagesse, en avestique), la divinité unique, abstraite et transcendante de la religion : l’esprit sain et l’esprit mauvais ; le jour, la nuit ; la vie, la mort.

 

Ces deux consciences coexistent dans chacun des êtres vivants, et ceux-ci s’accomplissent sur terre par leurs actes envers leur environnement et leurs pairs, davantage que par leur foi à l’endroit de la divinité.

 

Si ces principes forment la racine commune de tous les zoroastriens, les adeptes se sont distingués, au fil de l’histoire, en deux groupes, qui ont évolué séparément : les zoroastriens d’Iran et les Parsi.

 

Certaines pratiques religieuses ancestrales n’ont pas survécu parmi les seconds, à l’instar de Sadeh. Il y a plus de vingt ans, Mucca et Toxy Coswajee, à la tête de l’organisation caritative féminine zoroastrienne du Pakistan Karachi Zarthosti Banu Mandal, étaient parvenus à réinstaurer cette coutume. Pourtant, me rapporte aujourd’hui Toxy, les zoroastriens du Pakistan ne l’ont pas perpétuée. M. Cowasjee fut ensuite vice-président de l’organisation mondiale zoroastrienne, avant de devenir éditeur dans la revue zoroastrienne Hamazor, une publication trimestrielle.

 

Toxy Cowasjee m’indique en outre que les zoroastriens qui ont quitté l’Iran il y a 1 300 ans ont largement adopté des pratiques hindoues. Ils ont, par exemple, pris l’habitude de décorer leurs demeures avec des guirlandes de fleurs, utilisent du riz ou de la noix de coco pour appeler la félicité, ou encore plantent un arbre avant les mariages.

 

À neuf ans, les enfants subissent un rite initiatique leur permettant d’être officiellement admis au sein de la communauté. Au cours de la cérémonie, ils reçoivent une tunique de coton blanc, qui symbolise la pureté, et un cordon de laine d’agneau, destiné à être noué à la ceinture, et dénoué au moins cinq fois par jour, à l’occasion des prières traditionnelles.

 

Il est impossible de devenir Parsi : "il n’y a pas de prières pour cela !", m’indique le prêtre Karkaria. Ce qui n’est pas le cas chez les zoroastriens d’Iran, qui, en théorie, autorisent les conversions. Toutefois, au pays des mollahs, quitter l’islam pour une autre religion constitue un acte justifiant la peine de mort - ce qui ne manque pas de dissuader ceux qui souhaiteraient se rallier à la religion ancienne de la Perse.

 

Tandis qu’en Iran les temples zoroastriens sont ouverts à tous les citoyens, en Inde, seuls les Parsi sont autorisés à y pénétrer. Les prières récitées dans les antres des ateshkadeh, les temples du feu, ne diffèrent cependant pas. On y récite les Gathas, cinq hymnes décomposés en dix-sept chants attribués à Zoroastre, rédigés en avestique (langue iranienne ancienne) et qui forment la partie la plus ancienne de l’Avesta, le livre sacré des zoroastriens.

 

Certains historiens estiment que le zoroastrisme a pu influencer les autres religions monothéistes, dont le judaïsme. Des contacts se seraient établis entre les deux religions au VIe siècle avant notre ère. L’empereur perse Cyrus le Grand mit alors fin à l’exil des Hébreux en s’emparant de Babylone, où les Juifs avaient été déportés par le roi Nabuchodonosor. Prenant Jérusalem des mains des Babyloniens, il autorisa les Juifs à y reconstruire le Second Temple.

 

À en croire Keki Bhote, né à Bombay et aujourd’hui président et fondateur de l’Association Zoroastrienne d’Amérique, les deux religions conservent des principes proches. Il fait notamment allusion, dans la revue Hamazor (publication 1/2012), à la détermination à chercher à tendre le monde vers la perfection, l’inclinaison à chérir la vie, ou la considération de l’éducation ou du service civil comme des valeurs essentielles.

 

Plus de 3 000 années après l’apparition de la première religion monothéiste d’Iran, dans le monde moderne, la communauté zoroastrienne traverse des temps difficiles et se bat pour survivre en tant que telle.

 

En Iran, à la fin du règne du dernier Shah, dans les années 70, les zoroastriens étaient 300 000 ; on en compte aujourd’hui moins de 20 000. La plupart ont immigré vers les États-Unis, dans l’espoir de pouvoir offrir à ses enfants un environnement politique et religieux plus libre que celui en vigueur dans la "République" islamique.

 

Du côté de l’Inde, la jeunesse, emportée dans un présent en constante évolution, s’oppose à des traditions et une mentalité des élites religieuses qu’elle considère comme ringardes ; et nombreux sont ceux qui tendent à délaisser le style de vie de communautés parfois repliées sur elles-mêmes.

 

C’est ce qu’explique la réalisatrice zoroastrienne Tenaz Dubash, une Parsie résidant aujourd’hui à New York ; elle soutient que le conservatisme prend sa source dans les persécutions qu’ont subies les zoroastriens à travers l’histoire. Mme Dubash s’oppose au fait que les prêtres d’Inde refusent catégoriquement les conversions, alors qu’aucun texte ne les interdit.

 

Ces oppositions donnent lieu à des tensions entre orthodoxes et libéraux. En diaspora, Parsi et zoroastriens tendent à se marier hors de la communauté ; cela concernerait la moitié d’entre eux, selon Dubash. Prises dans la vie moderne du XXIe siècle, les jeunes générations ne se plient plus aux cinq prières quotidiennes et ne se rendent pas systématiquement, comme leurs aînés, au temple, de façon hebdomadaire.

 

Les antagonismes entre conservatisme et modernité rappellent certaines questions fondamentales auxquelles cherche aujourd’hui à répondre le judaïsme notamment, religion elle aussi plusieurs fois millénaire.

 

En dépit de ces difficultés, la communauté zoroastrienne perpétue les principes qui ont fait sa force, notamment les réseaux de communication. En Iran, en Inde, aux États-Unis, les zoroastriens se regroupent dans des associations. Le dixième congrès zoroastrien se tiendra à Bombay au mois de décembre prochain. Avec l’Iran, les contacts demeurent difficiles, car les Iraniens craignent de se trouver sous écoute téléphonique. Toutefois, des liens confidentiels persistent entre certaines personnalités, notamment des prêtres ou des membres d’associations.

 

Les zoroastriens ont en outre donné au XXIe siècle des figures marquantes, notamment dans le domaine musical, tels feu Freddie Mercury, le leader du groupe Queen, ou le directeur artistique nommé à vie de l’Orchestre philharmonique d’Israël, Zubin Mehta.

 

Entre force et discrétion, fondements solides et remises en question, les zoroastriens sauront, inévitablement, trouver leur voie afin de surmonter leurs problématiques contemporaines.

 

Note :

1. L’empire s’étendait sur la totalité de l’Iran, le Caucase sud, l’Asie centrale et du Sud-Ouest, l’Afghanistan occidental, des fragments de Turquie, de la Syrie, du Pakistan occidental, de la côte de la péninsule arabe et du Golfe persique. 

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