Tribune
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Publié le 7 Septembre 2017

#Tribune - Le discours de Francis Kalifat lors de la cérémonie du 75ème anniversaire de la rafle du Vel d'Hiv

"La force d’une Nation réside toujours dans le regard qu’elle sait porter sur son histoire et sa capacité à l’enseigner aux générations suivantes."

Monsieur le Président de la République

Monsieur le Premier ministre

Monsieur le Premier Ministre de l’Etat d’Israël

Mesdames et Messieurs les ministres

Mesdames et Messieurs les Préfets

Mesdames et Messieurs les ambassadeurs

Madame la Maire de Paris

Madame la Présidente du Conseil Régional d’Ile de France

Monsieur le Grand Rabbin de France

Mesdames et Messieurs les Présidents d’Institutions

Mesdames et Messieurs les représentants des cultes

Mesdames et Messieurs les Déportés, Résistants, Anciens Combattants et représentants des Justes parmi les Nations,

Mesdames et Messieurs,

 

Comment entamer mon propos sans à mon tour évoquer la mémoire de Simone Veil, femme d’exception au destin hors du commun et au parcours incomparable.

C’est à Simone, l’adolescente de 17 ans, arrêtée à Nice et déportée en 1944 vers Auschwitz et Bergen-Belsen que vont d’abord mes pensées en ce jour de commémoration de la rafle du Vel d’hiv.

Les rafles qui ont touché les Juifs de France dès l’année 1941 sont avant tout des arrestations massives de milliers de personnes.

Celle dont nous nous souvenons aujourd’hui s’est déroulée il y a 75 ans.

Elle fut orchestrée par le régime de Vichy, ce bras armé de l’occupant nazi.  

Paris et sa banlieue n’étaient plus qu’une souricière. 

Les rafles des 16 et 17 juillet 1942 ont été dirigées par la Police française et notamment par les Brigades spéciales de la direction centrale des Renseignements généraux, dont tous les membres furent volontaires pour collaborer avec l’occupant.

Tous ces hommes ont été un jour où l’autre entre 1942 et 1944 confrontés au regard d’un enfant juif. Si certains d’entre eux les ont épargnés, les autres ont scellé leurs destins tragiques.

N’oublions pas les 67 policiers français honorés du titre de Juste parmi les Nations : ils n’appartiennent pas à cette page sinistre de l’histoire de France.

Parmi les 13 152 Juifs arrêtés on compte 4 115 enfants.

Ils ont vécu l’enfer, l’effondrement d’un monde. Victimes de leur propre détresse et témoins de celle de leurs parents.

Dans cette enceinte du Vel d’Hiv où ils vécurent trois jours et trois nuits, ils n’avaient déjà plus d’avenir.

Transférés à Pithiviers ou à Beaune-la-Rolande avec leurs familles, 3 900 d’entre eux furent déportés seuls. 6 adolescents seulement ont survécu.

3894 enfants sont morts dans des conditions particulièrement cruelles, immédiatement envoyés à la chambre à gaz.

Qu’ont-ils compris de leur sort tragique ? Que pouvons-nous comprendre ? Cette question lancinante de la Shoah ne cessera jamais de nous hanter.

1 million et demi d’enfants juifs sont morts assassinés entre 1942 et 1944.

Autant de destins inaccomplis, autant de pertes pour l’Europe et pour le monde.

 Je salue ici la détermination de Serge Klarsfeld qui a tant œuvré pour que le jardin mémorial rue Nélaton soit dédié à ces enfants et rappelle le nom de ces victimes sans sépulture.

Nul doute qu’il devienne un lieu propice à l’instruction et à l’éducation.

Je veux aussi rendre hommage aux membres de la commission du Souvenir du Crif, ainsi qu’aux associations de mémoire et à leurs militants qui œuvrent inlassablement à la transmission.

La force d’une Nation réside toujours dans le regard qu’elle sait porter sur son histoire et sa capacité à l’enseigner aux générations suivantes.

Dans la recherche permanente de cette vérité qui nous rassemble, n’oublions jamais ces Français élevés au rang de Justes parmi les Nations.

Ils sont l’espoir forgé dans l’humanisme des Lumières sur lequel notre République s’est construite.

C’est cette étincelle d’humanité dans la nuit nazie que je veux retenir.

Rappelons comme l’a dit Vladimir Jankelevitch que « l’extermination des Juifs ne fut pas une flambée de violences : elle a été doctrinalement fondée, philosophiquement expliquée, méthodiquement préparée, systématiquement perpétrée (…) elle est l’application d’une théorie dogmatique qui existe encore aujourd’hui et qui s’appelle l’antisémitisme ».

Car oui, l’antisémitisme tue encore. Et, oui, ces meurtres sont aujourd’hui encore le fruit d’une idéologie énoncée, partagée, exacerbée qui inculque la haine des Juifs.

Ainsi, depuis l’an 2000, qui marqua le début d’une nouvelle vague d’actes antisémites, des Juifs sont morts en France parce qu’ils étaient juifs.

D’Ilan Halimi à l’école Ozar Ha Torah, de l’Hyper Cacher à Sarah Halimi, l’actualité rappelle sans cesse à ceux qui voudraient parfois l’oublier qu’être juif, hier comme aujourd’hui, c’est malheureusement souvent être une cible.

Ce sinistre bilan fait aujourd’hui de la France le pays, en dehors d’Israël, où les Juifs ont payé de leur vie le tribut le plus lourd à l’antisémitisme.

De délinquants ordinaires en loups solitaires, ou malades psychiatriques, tout a été tenté pour ne pas reconnaître qu’en France des Juifs étaient agressés ou même tués parce que Juifs.

Nous n’accepterons plus que la folie réelle ou supposée des auteurs de tels actes vienne en effacer le caractère antisémite. Cet argument lancinant, est vécu par les victimes et leurs proches comme une chape de plomb posée sur leur douleur. Il entrave le long et pénible travail de deuil des familles.

Certes, la folie meurtrière qui habite les nazis et les terroristes nous interroge, elle interroge l’humanité toute entière. Cependant, on ne saurait invoquer la déficience mentale pour venir masquer le caractère antisémite de l’acte comme il en est question encore aujourd’hui concernant l’assassin de Sarah Halimi.

Ainsi, lorsque qu’un meurtrier, prétendument fou, torture de longues minutes Sarah Halimi, qu’il connaît de longue date et sait juive, qu’il récite des sourates du Coran pour accompagner ses gestes, puis la défenestre vivante au cri de Allah Ouakbar, écoutons la vérité que ce meurtrier nous livre sur l’antisémitisme qui sévit au sein de pans radicalisés de notre société.

C’est pourquoi, Monsieur le Président de la République, il est essentiel que le caractère antisémite de ce meurtre soit inscrit au dossier pour que le procès à venir soit aussi celui de l’antisémitisme qui tue, aujourd’hui, en France.

L’antisémitisme a toujours su se réinventer et prendre des formes nouvelles : le terrorisme antisémite des djihadistes, l’antisémitisme politique de l’extrême-droite, l’antisémitisme antisioniste de l’extrême-gauche, l’antisémitisme religieux d’une partie du monde musulman jusque parfois dans nos quartiers.

Ce ne sont là que les principales variations actuelles d’une même rengaine plus ancienne.

Pourtant si le virus a la même souche, l’organisme dans lequel il se développe aujourd’hui n’est en rien comparable à celui qui enfanta la Shoah.

Rappelons ici quelques évidences qui sans minorer la réalité des dangers auxquels nous devons faire face aujourd’hui, nous invitent à éviter les comparaisons hâtives et surtout à choisir les réponses adaptées.

L’antisémitisme qui conduisit à la Shoah était un antisémitisme d’Etat, c’est-à-dire un antisémitisme dont l’Etat était à la fois le moteur idéologique et l’agent opérationnel.

Aujourd’hui, au contraire, l’Etat constitue le rempart le plus solide face à l’antisémitisme.

Je sais, monsieur le Président de la République, votre engagement et la détermination des pouvoirs publics à tout faire pour protéger les Français juifs et, au-delà, l’ensemble de leurs concitoyens.

Je veux saluer aussi les hommes et femmes - fonctionnaires de police et militaires - qui dans le cadre de l’opération Sentinelle continuent à assurer, jour après jour, la sécurité nécessaire à la vie juive en France.

L’antisémitisme qui conduisit à la Shoah était un antisémitisme de « culture populaire » : de l’Affaire Dreyfus aux années 30, il y a un fil continu dans le développement des idées et préjugés antisémites dans l’opinion publique française. Aujourd’hui, à cet antisémitisme traditionnel se substitue ou parfois s’ajoute un antisionisme poussé dans sa radicalité, qui veut délégitimer l’existence d’Israël notamment au travers de campagnes odieuses de boycott.

Or cet antisionisme n’est rien d’autre que l’expression contemporaine de l’antisémitisme, c’est la haine des Juifs qui s’exprime à travers la haine d’Israël.

Que dire de l’UNESCO qui après avoir nié au peuple juif son lien historique avec Jérusalem sa capitale, s’attaque à présent au Tombeau des Patriarches à Hébron pour faire de la deuxième ville la plus sacrée du judaïsme, un lieu exclusif du patrimoine palestinien.

Accepter l’instrumentalisation politique de la culture et l’infamie du révisionnisme historique, c’est accepter, bien au-delà des Juifs, que toute l’histoire de la chrétienté soit remise en cause.  

Et puisque certains veulent contester la légitimité de votre présence aujourd’hui en ce lieu de Mémoire, Monsieur le Premier ministre de l’Etat d’Israël,  je veux  leur rappeler que c’est en Israël que vit aujourd’hui le plus grand nombre de rescapés de la Shoah et  les renvoyer à l’histoire de l’Exodus, qui résonne encore  du courage et de la détermination extraordinaire de ses passagers, rescapés de la Shoah qui voulaient rejoindre l’Etat naissant d’Israël pour y trouver la liberté,  la dignité et la sécurité dont ils avaient été privés.

Pour chaque Juif à travers le monde, Israël demeure aujourd’hui, la garantie que ces heures tragiques qui ont vu l’extermination de 6 millions d’hommes, femmes, et enfants, ne puissent plus se reproduire.

Enfin, je veux croire que notre société a pris conscience que si la haine commence avec les Juifs, elle ne s’arrête jamais avec les Juifs.

L’antisémite déteste le Juif non parce qu’il est différent mais parce qu’il est indiscernable dans la société au sein de laquelle il vit, non parce qu’il vit en marge mais bien parce qu’il est parfaitement intégré. L’antisémitisme des sociétés modernes est ainsi une forme de détestation de leur propre idéal démocratique.

A l’heure où la France est en première ligne dans la guerre contre le terrorisme, où sa démocratie est menacée par le retour du fanatisme identitaire et de l’obscurantisme culturel des islamistes, je voudrais partager avec vous cette intime conviction : le destin des Juifs est inextricablement lié à celui du caractère démocratique de notre pays. Aujourd’hui, comme Il y a 75 ans, les Français juifs ont besoin de la démocratie comme la démocratie a besoin des Juifs.

Monsieur le Président de la République, nous savons que la voix de notre pays compte au sein du concert des Nations.

Vous savez combien les Juifs français sont attachés à la République, à ses valeurs et à ses traditions.

La France saura garder, j’en suis sûr, l’esprit de concorde et d’union auquel nous aspirons tous et qui fait d’elle un grand pays.

Votre présence en ce jour nous rappelle à tous que depuis 1995 la France s’est inscrite dans une démarche de vérité et de justice à laquelle elle ne renonce pas.

Je vous remercie.

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