Tribune
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Publié le 7 Janvier 2013

L’Argentine, les juifs et Israël

Manfred Gerstenfeld interviewe Gustavo Perednik

 

« On estime la communauté juive d’Argentine à environ 150 000 âmes. Ce chiffre a décliné du double qu’il représentait, il y a un demi-siècle, du fait de l’émigration et de l’assimilation. Plus de 80% des Juifs du pays vivent à Buenos Aires. 

« Selon mon point de vue, l’actuelle Judéophobie – une expression que je préfère à « l‘antisémitisme », terme qui peut induire en erreur- s'exprime principalement de trois façons. La première correspond à la délégitimation d’Israël dans des publications, des déclarations publiques et des manifestations. La seconde se transmet à travers des personnalités et des organisations qui sont dans les arcanes du pouvoir du pays. En Argentine, le militant syndicaliste Luis D’Elia est un exemple de ce type, s’agissant d’un fervent partisan de l’Iran, qui a publiquement accusé, en 2012, le Mossad, dans un énorme scandale de corruption en Argentine. Sa troisième forme d’expression se manifeste par la récurrence des mythes judéophobes classiques, dans le discours dominant, parmi lesquels on répète que les Juifs « ont trop de pouvoir » et qui banalisent la Shoah. »

 

Le Dr Gustavo Perednik est l’auteur de 15 livres sur les Juifs et la modernité. Il a fait des conférences dans cinquante pays, sur les Juifs, la Civilisation juive et Israël. Il a eu la charge du programme d’une durée de quatre ans pour les étudiants étrangers à l’Université Hébraïque de l’École Rothberg et était à la tête de l’Institut de Jérusalem des Dirigeants de mouvements de Jeunesse.

 

Le Dr Peredenik observe que : « Nous trouvons une haine persistante d’Israël dans les médias de gauche, tels que le quotidien Página/12. On constate la même chose dans les milieux universitaires. Certains professeurs réputés son des antisionistes enragés. Ainsi en va-t-il aussi de larges segments des organisations étudiantes, souvent trustées par les mouvements gauchistes. Le paradoxe est que beaucoup de leurs dirigeants sont des Juifs.

 

L’organisation coordonnatrice de la Communauté juive DAIA publie annuellement un compte-rendu résumé des agressions antijuives. Il mentionne des attaques verbales régulières, au cours d’émissions de radio d’inspiration néonazie, telle qu’Alerta Nacional et Juventud Despierta,aussi bien que dans des magazines comme celui de l’extrême-droite catholique, Cabildo – qui est nostalgique du temps de la dictature des Généraux- et Patria Argentina.Ces dernières années, les expressions judéophobes ont, cependant, baissé d’intensité. On observe une baisse d’un tiers du nombre de graffitis judéophobes, entre 2010 et 2011.

 

À l'extrême-gauche radicale, il y a le groupe Quebracho, qui désigne fréquemment Israël comme un « État nazi ». Il vient souvent perturber les rassemblements de solidarité avec Israël. Plusieurs de ses membres ont connu la prison pour avoir molesté des manifestants. On peut considérer Quebracho comme la Voix de l’Iran en Argentine.

 

En 2012, a été publié un livre intitulé Les Rabbins des Malouines.  Il révélait des cas de judéophobie virulente exercés par des officiers de l’armée, au cours de la guerre de 1982, entre l’Argentine et le Royaume-Uni. Des soldats juifs, qui ont subi des insultes, des humiliations et des passages à tabac n’ont été reconnus et honorés que trente ans plus tard par les organisations juives.

 

Les hommes politiques argentins font attention à ne pas employer un langage fanatique contre les Juifs ou d’autres. Le Ministre des Affaires étrangères, Hector Timerman est Juif et a de la famille proche en Israël. Plusieurs partisans importants du gouvernement sont publiquement identifiés comme des Juifs.

 

Les actions du gouvernement démontrent de claires intentions de dénoncer la Judéophobie. L’expulsion du négateur de la Shoah et dissident catholique, l’évêque Williamson, en 2009, est une de ses actions très médiatisées. Pourtant, à cause des relations étroites entre l’Argentine et le Président vénézuélien Hugo Chavez, le gouvernement n’ose pas s’opposer sérieusement à la délégitimation d’Israël. En règle générale, le gouvernement argentin est très dur envers la judéophobie nationaliste provenant de l’Extrême-Droite, mais ferme les yeux sur la judéophobie antisioniste issue de l’Extrême-Gauche. 

 

Au début décembre 2012, le Président de l’Équateur, Rafaël Correa –un allié de Chavez- s’est rendu en visite en Argentine. En plus du fait qu’il défendait les intérêts du gouvernement iranien, il a déprécié l’importance de l’attentat terroriste le plus dévastateur qui se soit jamais produit dans l’histoire de l’Argentine. En 1994, des terroristes parrainés par l’Iran ont lancé un camion piégé contre le bâtiment qui abrite l’organisation juive AMIA de Buenos Aires, tuant 85 personnes et blessant des centaines d’autres.

 

Correa s’est permis de déclarer, lors d’une conférence de presse durant son séjour, que « Certes, le dossier de l’AMIA restait une page très douloureuse de l’histoire de l’Argentine. Mais seul D.ieu sait combien de civils sont morts dans les bombardements de l’OTAN en Libye. Par conséquent, nous devrions établir la comparaison et alors nous verrions où se situent les dangers réels ». Il a, un peu plus tard, déclaré qu’il n’y avait rien sur quoi il pourrait bien revenir pour présenter des excuses ».

 

Le gouvernement argentin n’a pas osé relever le défi de cette déclaration. Il cherche, visiblement, à se rapprocher de plus en plus de l’Iran. Ses motivations sont économiques, autant qu’elles découlent du souci de rester bien dans la ligne des positions de Chavez. Mon livre To Kill Without a Trace [tuer sans laisser de traces”] (2009), qui traitait des actes terroristes iraniens en Argentine, prévoyait que le gouvernement continuerait de zigzaguer en direction de l’Iran. Les enquêtes judiciaires ont démontré de manière convaincante que c’est bien l’Iran qui se trouvait derrière l’attentat de l’AMIA et l’attentat à la bombe contre l’Ambassade israélienne, en 1992, dans lequel plus de 20 personnes ont été tuées et près de 250 blessées. Pourtant, l’Argentine n’a jamais réduit ses relations diplomatiques avec l’Iran.

 

Le gouvernement iranien a ainsi réussi à transformer un dossier judiciaire en une négociation politique. L’Argentine, probablement inspirée par Chavez, est actuellement en train de négocier avec les auteurs de l’attentat, sur la façon de « résoudre » le « problème » des attaques terroristes les plus meurtrières jamais commises en Argentine.

 

“Les représentants de la communauté juive sont en contact régulier avec le gouvernement. Leur agenda, cependant, n’est pas toujours très clair. Beaucoup de sujets pressants, ayant trait à la Judéophobie en Argentine, ne sont même pas évoqués. Par exemple, les dirigeants juifs ne se sont pas plaints auprès du gouvernement, à propos de son attitude consistant à fermer les yeux sur les commentaires de Correa, pas plus que du fait de son amitié notoire pour le Judéophobe Chavez ».

 

Le Dr Manfred Gerstenfeld est membre du Conseil d’Administration du Centre des Affaires publiques de Jérusalem, qu’il a présidé pendant 12 ans. Il a publié 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

 

Adaptation : Marc Brzustowski.