Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le Billet de Richard Prasquier - Comment Erdogan a-t-il été réélu ?

06 Juin 2023 | 97 vue(s)
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Chronique de Bruno Halioua, diffusée sur Radio J, lundi 12 février à 9h20.

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La modestie n’étant pas son fort, Recep Tayyip Erdoğan doit aujourd’hui se croire le maître du monde.

Après un séisme qui a entrainé 60 000 morts et détruit un million de logements en raison des carences dans les secours et les constructions, liées à la corruption, on disait que c’en était fini de Erdogan. La controverse a été bloquée et les critiques condamnés à de lourdes amendes.  

Erdoğan n’a pas été accusé d’avoir bourré les urnes. Mais avant le vote, il a truqué le scrutin.

Ses partisans verrouillaient les sources d’information et la justice aux ordres : le simple motif d’irrespect a permis d’incarcérer un rival gênant, le Maire d’Istanbul…

 

Outre la corruption et les atteintes aux droits de l’Homme, la politique économique plombe le bilan de Erdoğan. Il a, certes, multiplié le produit intérieur brut (PIB) de la Turquie par cinq, une augmentation portée par les constructions. Le déficit commercial s’est creusé, la monnaie a plongé et l’inflation a explosé, 100 % l’an dernier. 

En réaction, Erdoğan a baissé les taux d’intérêt, suivant le Coran qui déteste l’usure, plutôt que la doctrine économique la plus communément acceptée. Cela a conduit l’économie au bord du gouffre, d’autant plus qu’avant les élections, il a ouvert les vannes en augmentant les salaires des fonctionnaires et maquillé la chute de la monnaie en vendant massivement les réserves d’or et de devises de la banque centrale.

Mais une majorité de Turcs a néanmoins voté pour Erdogan ; au vu d’un bilan pareil, c’est une surprise pour la majorité des observateurs occidentaux.

 

Les leçons de cette surprise ne s’appliquent pas uniquement à la Turquie. En voici quelques-unes…

 

1. On peut penser que certains commentateurs, à force de discuter avec des intellectuels turcs qui sont presque tous des opposants au régime, ont été victimes de ce que les spécialistes appellent un biais de confirmation et le commun des mortels la tendance à prendre ses désirs pour des réalités.

 

2. Si l’inflation est massive, tout le monde n’en souffre pas autant. On pense aux classes moyennes des grandes villes étranglées par la hausse des coûts. Mais il y a les autres. Il y a ceux qui, vivant dans les campagnes assez loin des circuits économiques internationaux sont peu impactés tant que la production de nourriture est préservée.

À l’inverse il y a dans les villes ceux qui ont un accès facile aux devises étrangères et qui bénéficient de la chute de la monnaie turque : c’est le cas des proches du pouvoir, c’est le cas des proches de l’industrie exportatrice, et notamment du tourisme. C’est le cas enfin de la très importante diaspora turque dont les avoirs en devises prennent une importance particulière dans leur pays d’origine, qui provient souvent des régions anatoliennes et qui a massivement voté Erdoğan, notamment en Allemagne et en France.

 

3. Le sentiment religieux conservateur n’a pas été entamé par la révolution kémaliste dans une grande partie de la population qui voit en Erdoğan le héros qui a remis les valeurs traditionnelles à leur place, et accessoirement en son rival Kemal Kılıçdaroğlu un hérétique car il fait partie de la communauté alévie…

 

4. Il y a le nationalisme dont Erdoğan joue de façon virtuose, et ses rivaux souvent ne sont d’ailleurs pas en reste avec lui. La palette est large en Turquie : il y a l’espace turcophone, la grandeur du califat, la haine de la Grèce, la négation du génocide arménien, le conflit avec les Kurdes, si besoin la défense de la Palestine et toujours sous-jacente l’hostilité aux États-Unis et à l’Europe. Il pourrait y avoir la défense des Ouïghours, mais il ne faut pas fâcher Xi Jinping. Erdoğan pourrait ressusciter le conflit historique avec la Russie, mais il est aujourd’hui le meilleur ami de Poutine, contre qui il a été au bord de la guerre il y a quelques années.

 

5. Il y a enfin l’habileté politique de Erdoğan qui fait que beaucoup de Turcs ont voté pour lui par orgueil, fiers de l’entendre insulter des dirigeants étrangers, ou de le voir apparaître incontournable sur la scène internationale.

 

Il sert de béquille à la Russie pour violer l’embargo, tout en étant un membre de l’OTAN. Il livre par ailleurs des drones à l’Ukraine, se pose en humaniste auprès des Africains, en présentant un accord sur les céréales qui fait croire à tort que c’est l’Occident qui entrave les livraisons par ses sanctions contre la Russie et en intermédiaire obligé d’un futur accord de paix.

 

Il bloque l’adhésion de la Suède à l’OTAN et lui réclame la livraison d’opposants politiques, laisse planer des menaces sur l’importante base militaire d’İncirlik, attaque les populations kurdes impunément et va peut-être de nouveau utiliser les quatre millions de réfugiés syriens comme une arme de chantage contre l’Europe.

 

S’il compte renflouer les caisses de l’État qu’il a vidées, ce n’est pas par le développement économique ou par une politique monétaire orthodoxe (encore que certains économistes pensent qu’il sera obligé à un renversement de doctrine et qu’il en fera porter la responsabilité sur ses ennemis) mais par la voie politique, par sa capacité de nuisance qui rend la Turquie trop grande pour tomber, et aussi par le soutien des États riches. Ses liens avec le Qatar, économiques et idéologiques, sont très étroits

 

Quant à Israël, après la glaciation qui a suivi l’arraisonnement du navire Mavi Marmara, les relations ont repris et les Israéliens ont été au premier rang des secours après le séisme, mais ils savent à quoi s’en tenir.

Erdoğan ne les aime pas, il héberge les services du Hamas et son idéologie se nourrit en partie des Frères Musulmans. Mais sa conscience aiguë et pragmatique des rapports de force peut en faire pour Israël un partenaire utile. 

 

Richard Prasquier, Président d'honneur du Crif

 

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