Francis Kalifat

Ancien président

Mon discours à la cérémonie d'hommages du Crif à Auschwitz

07 February 2018 | 113 vue(s)
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France

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Le 4 février 2018, le Crif et les Amis du Crif ont organisé un voyage de mémoire dans les camps d’Auschwitz-Birkenau. Près de 200 personnes ont participé à cette journée exceptionnelle, qui a marqué les mémoires de chacun. Une délégation d’élus et de personnalités publiques m'a également accompagné. Nous avons aussi eu l'honneur d'être accompagnés par Ginette Kolinka, réscapée d'Auschwitz.

En fin de journée, nous avons tenu une courte cérémonie d'hommages ponctuée de plusieurs discours et de prières animées par le Rabbin Moché Lewin. En conclusion de cette intense journée, le Shofar a resonné au milieu du silence etourdissant de l'immense complexe de Birkenau.

Mesdames et Messieurs,
 
Le cœur serré par l’émotion, c’est à vous tous que je m’adresse. Il y a 73 ans, les barrières électrifiées d’Auschwitz Birkenau tombaient, et le monde découvrait avec stupeur le plus grand charnier de tous les temps.
 
En 1945 s’achevait la seconde guerre mondiale ; jamais dans l’histoire de l’humanité, un conflit d’une telle ampleur n’avait eu lieu, et jamais la barbarie dont les hommes sont capables n’avait atteint de tels sommets. Ce fût notamment le cas dans l’univers concentrationnaire inventé par les nazis entre 1933 et 1945.
 
Il y a 73 ans, le 27 janvier 1945, la première patrouille soviétique pénétrait dans le complexe d’Auschwitz, d’où avaient été évacuées une dizaine de jours plus tôt 58 000 déportés exténués ; entraînés par leurs bourreaux dans une monstrueuse « marche de la mort. »
 
Près d’un million et demi d’êtres humains avaient été assassinés : le plus grand nombre d’entre eux gazés dès leur arrivée, simplement parce qu’ils étaient nés juifs. Sur la rampe, toute proche d’ici, les hommes, les femmes, les enfants, brutalement débarqués des wagons, étaient en effet sélectionnés en une seconde, sur un simple geste des médecins SS. Mengele s’était ainsi arrogé droit de vie ou de mort sur des centaines de milliers de juifs, qui avaient été persécutés et traqués
dans les coins les plus reculés de la plupart des pays du continent européen. 
 
En mars 1942 arrivent les premiers convois de Juifs provenant de Haute-Silésie et de Slovaquie, et le 30 du même mois, le premier convoi parti de France, le 27 mars 1942. C’est ici même qu’à l’été 1942 est installé dans le camp, un centre d’extermination qui deviendra le lieu principal de la Solution finale. Dans ce lieu, les nazis avaient planifié méticuleusement le crime. Ils tuaient comme on tuerait des mouches, ou de petits animaux nuisibles. Ils avaient industrialisé la mort.
 
Pourtant, longtemps après, on a tenté d’ignorer cette spécificité : la spécificité du génocide, de l’usine de mort et de la machine d’extermination des Juifs.   On parlait de « camps de la mort » des allemands, mais un mot était oublié d’un bout à l’autre des énoncés, des récits, des descriptions : celui de « Juif ».
Depuis une vingtaine d’années, la mémoire du génocide des Juifs s’est imposée avec force et Auschwitz en est devenu le terrifiant symbole. Les dimensions monstrueuses de l’usine de mort, les mécanismes qui ont entraînés la mort de près de 6 millions de Juifs ont été peu à peu dévoilées.
 
Mesdames et Messieurs, tout au long de cette éprouvante journée, nous avons vu les blocs, les voies, les portes, les rails, les embranchements de voie ferrée, le plafond effondré d’une chambre à gaz, les ruines d’un crématoire, l’intérieur d’un crématoire, les escaliers menant à un crématoire, des photographies prises par les SS, des fragments du camp, des cheveux, des Taleths retrouvés après la libération du camp, des objets pris sur les victimes, des jouets, des bagages, des valises, des installations pour le nettoyage et la désinfection des vêtements, des vêtements d’enfants, de femmes, d’hommes, de vieillards, des restes métalliques, des latrines situées dans les baraques en bois de Birkenau, un gibet sur lequel ont été exécutés des prisonniers, un chevalet sur lequel on exécutait la punition du fouet, les clôtures électrifiées, un chariot pour le transport de corps, des tours de guet, des photos personnelles, des photos de famille apportées dans le camp par les juifs.
 
Qu’est-ce que ces objets nous apprennent vraiment et précisément sur l’histoire des gens qui leur ont autrefois donné vie ? Que savons-nous d’eux ?
Rien, puisqu’ils sont morts, puisqu’on ne les voit pas.
Des monceaux de cheveux de femmes tondues, des brosses à dents, des prothèses de jambes et de bras, des lunettes, des jouets…. Mais des cheveux sans tête, des lunettes sans yeux, des prothèses sans jambes, des chaussures sans pieds, des jouets sans enfants. Nous prenons donc en pleine figure les lieux, les murs, le froid. Trop courte journée pour comprendre parfaitement et totalement les rouages du crime de masse, l’indicible, la mort et la haine. Trop courte mais tellement intense et combien nécessaire.
Car, nous n’avons pas le droit d’oublier, non nous n’avons pas le droit parce que nous avons une obligation impérieuse, l’obligation de transmettre, le devoir de la transmission.
Ce soir, nous nous souvenons que notre existence a été mise en péril au point qu’un pan entier du judaïsme européen a été englouti.
Comment concevoir, demain, la mémoire de la Shoah sans témoins vivants ? Comment faire alors pour que la Mémoire ne se réduise pas simplement à l’Histoire.
Comment allons-nous à présent relever le défi qui nous est donné, être les témoins des survivants, les témoins des témoins disparus ?
C’est cet immense défi auquel nous renvoient les disparitions progressives des derniers témoins : Elie Wiesel, Simone Veil, Samuel Pisar, Charles Baron, Claude
Hampel, Henri Minczeles.
Ils étaient tous des survivants directs de la Shoah. Ils nous laissent un avenir qu’il nous appartient d’écrire et c’est en nous souvenant de leurs enseignements que nous pourrons transmettre cette mémoire pour laquelle ils se sont tant engagés.
 
Elie Wiesel écrivait qu’à Auschwitz, « dans les cendres, s’éteignirent les promesses de l’Homme ». Comme en écho, l’écrivain hongrois Imre Kertesz répondit : «Auschwitz, c'est une chose impossible mais qui a eu lieu : une invraisemblable vérité.»
En ces temps de résurgence des extrémismes et de l’antisémitisme, nous ne devons pas essentiellement proclamer que nous y étions ou que nous sommes encore là. Nous devons continuer de combattre la bête, quel que soit son visage car elle sème la mort et la désolation.