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Publié le 8 Février 2018

#Crif #Auschwitz - Récits du voyage de mémoire du Crif : "Le froid"

Le 4 février 2018, les Amis du Crif ont organisé un voyage de mémoire dans les camps d’Auschwitz-Birkenau. Près de 200 personnes ont participé à cette journée exceptionnelle, qui a marqué les mémoires de chacun. Une délégation d’élus et de personnalités publiques a également accompagné le président du Crif, Francis Kalifat. Nous avons également eu l'honneur d'être accompagne de Ginette Kolinka, rescapée d’Auschwitz. Tout au long de la semaine, le Crif vous propose de vivre ou revivre ce voyage mémoriel pour que nous devenions tous "les témoins des témoins".

14h, camp d’Auschwitz II – Birkenau. Nos guides nous entrainent à présent à travers les routes enneigées qui séparent la Juden Ramp de l’immense plaine qu’a été Birkenau.

Le calme est absolu dans cet espace où ne règne qu’un silence froid et figé. L’image évoquée plus tôt dans la journée d’un gigantesque « cimetière sans tombe » fait soudainement sens.

Nous nous dirigeons vers l’une des baraques de bois, reconstituée par le mémorial d’Auschwitz. Les guides nous expliquent que les baraquements ont en effet été détruits après l’évacuation du camp. Tantôt par les nazis eux-mêmes, tantôt dans l’après-guerre, par les Polonais qui eurent besoin de bois pour se chauffer. Un murmure d’indignation parcourt notre groupe sur ce dernier point. « Mais qu’auriez-vous fait ? Vous auriez laissé vos enfants mourir de froid pour pérenniser la mémoire des morts ? » tranche notre guide.

Mourir de froid. A Birkenau, ces mots résonnent davantage qu’ailleurs, là où chaque partie du corps est saisit par les poignards du froid polonais. Et pourtant, comme nous sommes nombreux à le faire remarquer, « nous sommes équipés, nous ! ». Polaires, chaussures rembourrées, manteaux, bonnets, gants, rien ne nous manque de la panoplie contre les journées d’hiver de l’Est européen.

« Quand vous avez froid, qu’est-ce que vous faites ? » interroge Ginette Kolinka « Vous mettez un pull ! » répond-elle automatiquement. « Et bien nous, nous n’avions pas de pull. Nous n’avions qu’à avoir froid ».

Nous pressons un peu le pas pour arriver plus vite à l’intérieur de la baraque, pour – nous le pensions encore naïvement – nous réchauffer. L’intérieur de cette cabane de bois rongé par les moisissures, trouées de larges fentes, est glacial. Mais la stupeur de nous y trouver nous fait un instant oublier la température.

A demi hébété, chacun fait quelques pas de part et d’autre de l’étroit baraquement. Des hommes, des femmes, et parfois des enfants, ont – sinon dormi – passé les nuits glaciales de l’hiver de Silésie et les soirées brûlantes des interminables journées d’été. A trois, quatre, et souvent encore davantage, ils se sont partagés de minables couvertures et des palettes étriquées qui leur servaient de lits.

Dans ces espaces aussi peu descriptibles qu’envisageables, nos pensées s’égarent vers les nombreux témoignages entendus dans le passé. Les histoires de ces femmes incapables de se tenir assises sur leur palette, celles de ces hommes forcés de se coucher tête-bêche, reniflant l’odeur du seau de latrine renversé quelques heures plutôt sur les pieds du voisin.

Un peu à l’écart du groupe, une des jeunes lycéennes pleure. Elle est réconfortée par ses camarades qui nous adressent des regards pleins de questions. Nous tentons de répondre à l’inconcevable.

« Mais, ils ne se lavaient pas ? Où faisaient-ils leurs besoins ? » demandent-elles avec incompréhension. Nous leur expliquons combien il était difficile de se rendre aux quelques points d’eau disponibles dans le camp et comme il pouvait être dangereux de sortir de son block sans autorisation. Nous leur désignons les rangées de latrines, disposées au fond du baraquement.

« Mais, les toilettes sont cassées. A quoi ressemblaient-elles avant ? » s’enquièrent-elles. Non, les toilettes ne sont pas cassées. Ce que vous voyez est exactement ce qui se trouvait ici, de simples trous pour les besoins. Dos à dos, coudes contre coudes, des Hommes comme vous et moi ont dû se démunir du privilège de l’intimité.

En s’interrogeant sur le sort des plus jeunes enfants, Maïa apprend que ceux-ci ne passaient généralement aucune nuit dans le camp, envoyés dès leur arrivée à la chambre à gaz, souvent accompagnés de leur mère. Nous sentons alors qu’il faut nous arrêter là dans le récit et que cette jeune fille ne peut en entendre davantage.

Une de ses camarades, Marie, est en colère. « Mais, ce n’est pas possible ! Je ne comprends pas ! Comment un homme peut-il faire tout ça à un autre homme ?! » Sans le savoir, elle vient de relever la plus grande question de la Shoah.

« Comme Hitler a-t-il pu imaginer tout ça ? Il faut être vraiment malade ! Je le déteste celui-là, c’est fou comme je le déteste ! En plus, il était moche ! ». Avec ses mots touchants d’adolescente, Marie, touche du doigt l’objectif de ce voyage de mémoire : la révolte des cœurs et des esprits contre l’oubli.

Le froid, la faim, la peur, les coups, la crasse, la maladie et l’horreur. C’est ce que nous retenons d’Auschwitz. Ginette Kolinka, elle, nous parle de serviettes éponges. « Il n’y avait rien pour s’essuyer… Jamais une serviette, jamais un tissu. Sept mois sans se sécher… Et aujourd’hui, quand j’oublie de mettre de l’adoucissant et que je me sèche avec des serviettes rêches, je râle. J’aurais été bien heureuse d’avoir des serviettes rêches à l’époque… »

Tout autant de détails qui, pour chacun d’entre nous ce jour-là, sont devenus essentiels.

Nous restons encore un moment dans cette baraque vide. La fumée qui se dégage de nos souffles lourds dessine dans l’obscurité des formes vaporeuses, qui s’animent tranquillement comme des silhouettes fébriles dans l’espace. 

Marie-Sarah Seeberger

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