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Publié le 10 Avril 2014

Déclaration de Jean-Yves Le Drian, Ministre de la Défense, en hommage aux Résistants du maquis des Glières

Cérémonie du soixante-dixième anniversaire du maquis des Glières, à la Nécropole nationale de Morette (Haute-Savoie), Nécropole nationale de Moret le 6 avril 2014

Il y a soixante-dix ans, alors que les hurlements des Stukas allemands assourdissaient les vallées de Haute-Savoie, la clameur de la liberté avait trouvé refuge dans le cœur de quelques hommes, sur un plateau non loin d'ici.

Soixante-dix ans après, dans le silence retrouvé des Glières, nous entendons l'écho de l'appel des combattants de Tom Morel. Ils étaient quelques centaines. Des milliers de soldats hitlériens allaient les encercler. Longtemps armés de leur seul courage, mais animés par l'esprit de Résistance, qui deviendrait bientôt le souffle de la Libération, ils étaient alors l'honneur de la France.

Nous sommes au mois de janvier 1944. L'ennemi sait désormais qu'il va perdre la guerre. Dans ce dernier hiver, il jette toutes ses forces. Aux côtés de l'Occupant, «l'Etat français» – qui n'est plus qu'un fantôme fanatique – mobilise ses troupes. Dans les Alpes convergent la Milice de Darnand, les GMR de Vichy, mais aussi l'Ovra, la police secrète de ce qu'il reste de l'Italie fasciste. Sur la Haute-Savoie en particulier, l'ombre de la répression grandit semaine après semaine.

Pour l'heure, les maquisards du département tiennent bon. Depuis peu, ils répondent au commandement de Tom Morel, déjà figure du 27e BCA. C'est lui qui les regroupe sur le plateau des Glières. Bientôt, sur ce site isolé, ont lieu les premiers parachutages alliés. Les premiers accrochages aussi.

Encerclés, les hommes de Tom Morel rendent coup sur coup, au point que les assaillants se retrouvent plusieurs fois assaillis. Le 9 mars, quelques dizaines de combattants descendent du plateau pour attaquer Entremont et délivrer des prisonniers. Une fois de plus, l'opération est un succès, mais Tom Morel est trahi par la lâcheté des balles d'un Français qui avait pris le parti de Vichy. Quand il succombe, il n'a pas encore vingt-neuf ans.

Le bruit de sa mort achève de glacer le plateau. Cependant un autre homme, le capitaine Anjot, prend sa relève le 18 mars et poursuit les combats. Au cours de cette dernière semaine, le vacarme des bombardements allemands le jour, et la rumeur des parachutages de la Royal Air Force la nuit, emplissent l'immense ciel des Glières.

Le 20 mars, la Milice lance l'offensive à l'ouest du plateau, mais ses attaques sont toujours évitées ou contenues. Les jours suivants voient de nouveaux raids aériens allemands. C'est l'échec des forces de Vichy qui décide l'armée hitlérienne à intervenir. A compter du 24 mars, la 157e division de la Wehrmacht, qui compte plusieurs milliers d'hommes, se prépare à l'assaut des Glières. Ecrasés par le nombre, mais non par la valeur, les maquisards tiennent leurs positions. Le 26 mars, cependant, un nouvel accrochage ouvre le plateau aux forces hitlériennes. Vers 22 heures, conscient du drame qui s'approche, le capitaine Anjot donne à ses hommes l'ordre d'évacuation. Ils sont plus de quatre cents à cheminer en silence dans la neige et la nuit.

La nuit les avait protégés. La neige les a trahis. Nulle chance d'y échapper dans ce refuge devenu piège au milieu de l'hiver. Au matin du 27 mars, alors que l'assaut général des bataillons allemands embrasse un plateau déserté, les traces des colonnes de maquisards sur les pentes donnent l'alerte. Dans cette traque funeste, plusieurs dizaines seront faits prisonniers par la Milice. Près de cent vingt seront fusillés, parmi lesquels le capitaine Anjot ; d'autres seront déportés ; d'autres encore connaîtront la torture. Cependant, grâce à l'ordre de dispersion, plus de 200 combattants des Glières réchapperont au destin d'ombre qui les guettait. Huit d'entre eux sont avec nous aujourd'hui, et dans l'hommage solennel que nous rendons à leurs compagnons morts pour la France, nous leur adressons un salut fraternel, celui d'une Nation qui sait tout ce qu'elle leur doit.

La bataille des Glières, ce n'est pas seulement le 26 mars 1944 : elle a commencé avec la prise du plateau, à la fin du mois de janvier, et s'est achevée avec les exécutions de la fin du mois de mars.

Durant ces soixante jours d'une aventure épique, et pour finir tragique, le plateau des Glières a pris la figure de la France. Gardée dans la rigueur de l'hiver par l'héroïsme de quelques hommes, cette parcelle du territoire français fut la première libérée, sous les regards de l'Occupant et des Alliés. Qu'importe que les forces hitlériennes l'aient ensuite repris pour quelques semaines, car c'est bien Tom Morel qui, du ressac de l'Histoire, est sorti victorieux. Par l'exemple qu'il a donné, il a transmis aux maquisards de ces vallées le souffle de la liberté. Par l'action qu'il a menée, il a éveillé une lueur qui ne devait pas s'éteindre, en permettant à la Haute-Savoie de se libérer bientôt par elle-même.

Mais ce n'était pas seulement la liberté que les hommes de Tom Morel étaient allés chercher au bout de la nuit des Glières. La fraternité illuminait également leur combat. De ceux qui croyaient au ciel à ceux qui n'y croyaient pas, le maquis des Glières avait les cent visages de la France entrée en Résistance. Agents de l'Armée secrète, officiers du 27e BCA ayant refusé la défaite, Français venus ici pour fuir le STO, Francs-Tireurs et Partisans, résistants dans la fleur de l'âge ou de vingt ans leurs aînés, ou bien encore Républicains espagnols qui ont accompagné le capitaine Anjot jusque dans la mort : tous avaient leur place aux Glières, dans cette France qu'ils venaient de retrouver ensemble.

La bataille des Glières est entrée dans l'histoire avant même son issue dramatique. Tandis que les maquisards affrontaient les forces de Vichy, Maurice Schumann, la voix de la France libre, et Philippe Henriot, l'homme de Radio-Paris, portaient ce combat sur le terrain des ondes.

La voix d'André Malraux domine ici les autres : « Presque chaque jour, les radios de Londres diffusaient : « Trois pays résistent en Europe : la Grèce, la Yougoslavie, la Haute-Savoie. » La Haute-Savoie, c'était les Glières. Pour les multitudes éparses qui entendaient les voix du monde libre, ce plateau existait à l'égal des Balkans. Pour des fermiers canadiens au fond des neiges, la France retrouvait quelques minutes d'existence parce qu'un Savoyard de plus avait atteint les Glières. »

Ainsi, parce qu'il incarnait, pour les oreilles du monde libre, cette France qui ne veut pas mourir, et cette Résistance qui prendrait bientôt part à la Libération, le maquis des Glières est entré de plain-pied dans notre mémoire nationale, et continue, aujourd'hui encore, de nous parler intimement.

Les combattants des Glières n'avaient réclamé ni la gloire ni les larmes. Ensemble, en scellant leur destin à celui de la France, ils avaient simplement fait le choix de « vivre libres ou de mourir », de mourir pour que nous puissions toujours vivre libres.

Ce souffle fraternel d'un pays pour sa liberté, c'est ce que les hommes de Tom Morel nous ont laissé en partage. Ce matin, alors que nous entendons à nouveau leur appel, nous sommes tous les enfants des Glières.

Source : http://www.defense.gouv.fr