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Publié le 3 Mai 2017

#Opinion - Selon les experts et les économistes, l’invraisemblable programme économique de Marine Le Pen

Les économistes sont atterrés et/ou effrayés par un tel programme. Pourquoi ?

Dans cette synthèse, nous avons simplement cherché à savoir ce que les économistes pensent, écrivent et disent du programme économique de Marine Le Pen. Nous avons donc effectué une recherche et avons sélectionné -sans prétendre être exhaustif- l’avis de 25 prix Nobel d’économie ; l’opinion de l’Institut de l’entreprise ; l’opinion des experts de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et celui de l’Institut Montaigne.

Les différents experts et les économistes présentent et commentent donc le programme économique du FN. Que disent-ils au juste ? Comment interprètent-ils et comprennent-ils les mesures proposées par la candidate du FN ? Quelle est leur analyse et quel jugement critique (ou non) porte-t-il sur ce programme ? Pourquoi et en quoi sont-ils très inquiets ?

Marc Knobel

 

LE PROGRAMME ECONOMIQUE DE MARINE LE PEN - L’OPINION DE PRIX NOBEL D’ECONOMIE :

Jean Tirole, Joseph Stiglitz, Robert Solow... 25 des plus grands économistes actuels (1), tous distingués par le prix Nobel d'économie, publient le mardi 18 avril 2017 une grande tribune fustigeant «l'instrumentalisation de la pensée économique dans le cadre de la campagne électorale française».

Dans les colonnes du Monde (2), les signataires de cette lettre, en dépit de leurs positions politiques et/ou économiques souvent divergentes, réaffirment unanimement leur foi en l'Europe et en la monnaie unique. Ils dénoncent notamment la récupération et le travestissement, par Marine Le Pen et ses équipes, de leurs théories. «La construction européenne est capitale non seulement pour maintenir la paix sur le continent mais également pour le progrès économique des États membres et leur pouvoir politique dans le monde», rappellent-ils en exergue de leur tribune. Ils qualifient ainsi les «politiques isolationnistes et protectionnistes» prônées par certains candidats de «dangereuses» et de «préjudiciables à la France et à ses partenaires commerciaux.» En ligne de mire: le programme économique de Marine Le Pen, qui prévoit, entre autres, la mise en place d'un «protectionnisme intelligent» et l'instauration d'un «patriotisme économique», résume Elena Scappaticci, dans  Le Figaro (17 avril 2017).

Les lauréats rappellent également que, bien intégrés au marché du travail, «les migrants peuvent être une opportunité économique pour le pays d'accueil». Un nouveau tacle à la candidate FN, dont le programme prévoit notamment de rendre impossible la régularisation ou la naturalisation des étrangers en situation illégale et de réduire considérablement l'immigration légale sur le sol français. À la tentation du protectionnisme économique et de la fermeture des frontières ils opposent ainsi davantage de solidarité entre les États européens. «Les problèmes sont trop sérieux pour être confiés à des politiciens clivant», concluent-ils (3).

 

LE PROGRAMME ECONOMIQUE DE MARINE LE PEN - LES AVIS DE L’INSTITUT DE L’ENTREPRISE :

En février 2017, Daniel Bensoussan, journaliste à Challenges (4), est allé sonder les experts de l’Institut de l’entreprise. Créé en 1975, l’Institut de l’entreprise est un think tank indépendant de tout mandat syndical ou politique. Association à but non lucratif, l'Institut de l'entreprise a une triple vocation : être un centre de réflexion, un lieu de rencontre et un pôle de formation. Profondément ancré dans la réalité économique, il concentre ses activités sur la relation entre l’entreprise et son environnement et a pour objectif de mettre en avant le rôle et l’utilité de l’entreprise dans la vie économique et sociale (5). Les conclusions des experts sont sans appel. Nous reproduisons ici les principaux extraits de l’article de Daniel Bensoussan et renvoyons à la totalité de l’article, cité en note

Folie monétaire - La sortie de l’euro :

Redonner à la France sa " souveraineté monétaire ". Cette mesure phare de Marine Le Pen est perdue au milieu de ses 144 engagements. La candidate ne parle pas clairement de sortie de l'euro. Mais le FN continue à fustiger un euro trop cher et à faire de la monnaie son levier pour doper la compétitivité.

Dès lors, quel serait l'impact financier du retour au franc ? Une dévaluation entraînerait immédiatement une hausse proportionnelle de notre dette extérieure libellée en euros, qui s'élève déjà à 325 % du PIB (pour l'Etat et le secteur privé), soit 6 300 milliards. Du coup, le FN brandit la parade de la lex monetae, qui autorise un pays à redénominer sa dette dans la monnaie de son choix. Son utilisation divise les experts. " D'après les juristes, le critère clé est le droit applicable : si le contrat d'émission est français alors on peut l'utiliser ", estime Sébastien Villemot, de l'OFCE. L'essentiel de la dette publique étant sous contrat français, l'Etat rembourserait ainsi les prêteurs étrangers en francs et leur ferait payer le coût de la dévaluation. Mais il perdrait alors leur confiance et aurait le plus grand mal à revenir emprunter sur les marchés. Pour le chef économiste de Natixis, Patrick Artus, la lex monetae est inapplicable : " Peu importe la nationalité des contrats, il est impossible de rompre unilatéralement un contrat en changeant de devise. Les agences de notation attribueraient la note D pour défaut de paiement. " Il n'y aurait donc pas d'autre choix que de rembourser dans une monnaie dépréciée (6).

(…) Folie budgétaire

Les finances publiques :

La liste des promesses de Marine Le Pen a de quoi donner le vertige, surtout aux comptables de Bercy. Pour mettre fin au ras-le-bol fiscal des ménages, le FN promet de baisser l'impôt sur le revenu (de 10 % pour les trois premières tranches), la taxe d'habitation, les frais de notaire, et de rétablir le plafond du quotient familial. L'impôt sur les sociétés serait aussi réduit à 24 % pour les entreprises moyennes. Mais c'est du côté des dépenses que la facture grimpe le plus, avec une hausse du budget de la Défense de 1,8 à 3 % du PIB. Le FN crée une " prime de pouvoir d'achat " de 80 euros par mois pour les salariés et les retraités gagnant moins de 1 500 euros. Enfin, il revalorise des prestations sociales et promet des recrutements dans la police, la gendarmerie, la magistrature, les douanes et les hôpitaux. Au final, selon l'Institut de l'entreprise, l'addition s'élèverait au moins à 85 milliards. L'Etat devra aussi financer deux investissements très lourds : la création de 40 000 places de prison, qui coûterait près de 5 milliards, et surtout la nationalisation des sociétés d'autoroutes, évaluée par le FN à 15 milliards et au double par l'Institut (7) !

 

(…) Folie commerciale - Le protectionnisme :

"Un nouveau modèle patriote en faveur de l'emploi. " C'est dans ce chapitre un peu fourre-tout que Marine Le Pen range les mesures relevant d'un " protectionnisme intelligent ". Exit les droits de douane et les quotas d'importation, qui figuraient dans le programme de 2012. Le moteur de la compétitivité serait, avant tout, le rétablissement d'une monnaie nationale et donc la dévaluation. La contribution sociale sur les importations de 3 % aurait alors des effets marginaux. " Cela va renchérir le prix des produits consommés par les ménages modestes, déplore Sébastien Jean, directeur du CEPII. Cela va aussi pénaliser nos secteurs industriels les plus en pointe, comme l'aéronautique, qui s'approvisionnent aux meilleures sources, notamment à l'étranger. " Cette taxe, comme la plupart des mesures du FN dans ce domaine, serait contraire aux règles communautaires et imposerait une sortie de l'Union européenne. " La renégociation des traités pourrait prendre jusqu'à deux ans, concède un cadre du FN. Si Marine Le Pen décidait de ne plus les respecter, elle violerait l'article 88 de la Constitution française (8) "

 

LE PROGRAMME ECONOMIQUE DE MARINE LE PEN - L’OPINION DES EXPERTS DE L’OBSERVATOIRE FRANÇAIS DES CONJONCTURES ECONOMIQUES :

« Marine Le Pen veut sortir de la zone euro, ce qui entraînerait l'Europe dans des zones de turbulence et d'incertitudes inédites, ne permettant pas d'évaluation crédible », soulignent les experts de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), un institut classé à gauche, rappelle Marc Vignaud, dans Le Point (25 avril 2017).

Nous reproduisons ci-dessous les éléments les plus marquants du rapport de Guillaume Allègre, Pierre Madec, Mathieu Plane, Xavier Ragot, Aurélien Saussay. Ce rapport est intitulée : « Quelles propositions économiques des candidats à l’élection présidentielle? », OFCE Policy Brief 16, 14 avril 2017 (9).

« Marine Le Pen propose une légère baisse des PO sur les entreprises, dont la principale mesure serait une réduction d’IS pour les TPE-PME (-5,5 milliards), dont une partie serait rognée par la hausse de la taxation sur les travailleurs étrangers (2 milliards). Par ailleurs, comme pour d’autres candidats (F. Fillon et E. Macron), la transformation du CICE en baisse de cotisations engendrerait un gain annuel significatif pour les entreprises, mais qui serait plus que compensé sur le quinquennat par une hausse de l’IS liée à une base fiscale plus large pour les entreprises. Pour les ménages, les baisses de fiscalité liées à la baisse de l’IRPP, à la défiscalisation de heures supplémentaires, à la baisse de la taxe d’habitation et des droits de mutation (- 17,5 milliards) serait plus que compensé par la taxe de 3 % sur les importations (20,5 milliards). Du côté des dépenses publiques, 33 milliards sont en direction des ménages, que ce soit le retour de l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans (18 milliards), une prime pour les petits salaires et petites retraites (10 milliards) ou encore l’universalisation des allocations familiales, de la revalorisation de l’AAH ou de la protection logement-jeunes. Enfin, elle prévoit 31 milliards de nouvelles dépenses régaliennes et 9 milliards pour la Recherche. Une grande partie de ces nouvelles dépenses est censée être compensée par 60 milliards d’économies, que ce soit sur les frais de gestion de la Sécurité sociale, sur les retours de la lutte contre la fraude sociale et l’évasion fiscale (profits détournés), sur l’UE (6 milliards), sur l’immigration (dont l’Aide Médicale d’Etat (1 Md.), sur la réforme institutionnelle (suppression des doublons) et sur la délinquance.

Le programme de M. Le Pen se caractérise principalement par un soutien au pouvoir d’achat des classes moyennes, une hausse des dépenses régaliennes et une baisse de la fiscalité des TPE-PME, qui seraient financés par des taxes à l’importation et des ressources liées à la lutte contre la fraude fiscale, à la réduction drastique des flux migratoires et à la sortie de l’UE. Outre le peu de vraisemblance des économies proposées, ce programme, qui se fonde sur la sortie de l’euro, sur le retour à des barrières douanières sur les biens et les personnes, ne tient pas compte des conséquences négatives du retour à une monnaie nationale et des réactions en chaîne de nos partenaires commerciaux face à une telle politique… (10) »

 

LE PROGRAMME ECONOMIQUE DE MARINE LE PEN - L’OPINION DE L’INSTITUT MONTAIGNE :

L’Institut Montaigne, un cercle de réflexion libéral, a publié une note de synthèse intitulée « Nouvelles dépenses, économies, hausse et baisse des recettes : synthèse du programme de Marine Le Pen ».  Que dit en substance l’Institut ? Il chiffre la facture à 102 milliards d'euros, contre seulement 1,6 milliard d'économies, autant dire l'épaisseur du trait. L'écart est massif avec les chiffres fournis par Marine Le Pen, qui promet, de manière peu crédible, 58 milliards de baisse de dépenses. Bref, son équation budgétaire est impossible à résoudre. Dès lors, la candidate peut aligner les promesses aux Français sans trop se soucier de leur financement

 

Nous reproduisons ici des extraits de la note de synthèse de l’Institut Montaigne (11) :

Prévisions de croissance :

Le programme de Marine Le Pen prévoit une croissance augmentant progressivement sur le quinquennat, jusqu’à atteindre 2,5 % en 2022. Ce rythme de croissance n’a pas été observé en France depuis le début des années 2000 et est nettement supérieur à celui prévu par la Commission européenne – qui ne tient pas compte de l’impact de potentielles réformes structurelles. En reprenant les hypothèses de croissance potentielle de la Commission européenne, l’écart de production serait de l’ordre de +4,5 points par rapport au PIB potentiel, soit un niveau jamais atteint en France et en pratique inatteignable. Autrement dit, un tel rythme de croissance pour la France par rapport à sa croissance potentielle n’a jamais été atteint – et ne le sera vraisemblablement jamais – sur une durée aussi longue.

Dépenses nouvelles

Parmi les mesures du programme de Marine Le Pen impactant à la hausse le niveau des dépenses publiques, nous avons fait le choix de retenir les éléments les plus significatifs, dont le chiffrage dépasse 500 M€ par an ou qui sont aisément chiffrables. Au total, l’accroissement des dépenses pérennes (celles qui n’ont pas vocation à s’éteindre à l’issue du quinquennat) devrait atteindre 102 Md€ par an après montée en charge, au-delà de la trajectoire actuelle (dite tendancielle) d’augmentation de la dépense.

(…) Augmentations d’impôts :

Les diminutions de recettes prévues seraient compensées par une hausse des droits d’importations, jusqu’à 20 Md€, sans tenir compte de la baisse des importations qui ne manquerait pas d’en résulter, sans tenir compte non plus de la sortie de la zone euro et de l’Union européenne, qui conduirait probablement elle aussi à diminuer fortement les importations (12). »

 

Conclusion

Résumons ce programme économique de repli national :

1)      L’illusion est de prétendre que la France pourrait retrouver une croissance vigoureuse et une industrie florissante grâce au protectionnisme et à une quasi-autarcie. C’est oublier que nous faisons la moitié de notre commerce extérieur avec la zone euro.

2)      Le retour du franc : une sortie de l’euro n’est certainement pas la solution. Bien au contraire : les prix des biens importés augmenteraient drastiquement et la dette exploserait.

3)      Le FN promet de raser gratis : augmentation des bas salaires, revalorisation des retraites, rétablissement de la retraite à 60 ans, baisse des tarifs du gaz et de l’électricité…

En définitive, ces mesures grèveront lourdement les finances publiques et relèvent d’un étatisme d’un autre âge.

 

 

 

Note :

1. Les prix Nobel sont: Angus Deaton (Princeton, prix Nobel en 2015), Peter Diamond (Massachusetts Institute of Technology, 2010), Robert Engle (université de New York, 2003), Eugene Fama (Chicago, 2013), Lars Hansen (Chicago, 2013), Oliver Hart (Harvard, 2016), Bengt Holmström (MIT, 2016), Daniel Kahneman (Princeton, 2002), Finn Kydland (Carnegie-Mellon, 2004), Eric Maskin (Harvard, 2007), Daniel McFadden (Berkeley, 2000), James Mirrlees (Cambridge, 1996), Robert Mundell (Columbia, 1999), Roger Myerson (Chicago, 2007), Edmund Phelps (Columbia, 2005), Chris Pissarides (London School of Economics, 2010), Alvin Roth (Stanford, 2012), Amartya Sen (Harvard, 1998), William Sharpe (Stanford, 1990), Robert Shiller (Yale, 2013), Christopher Sims (Princeton, 2011), Robert Solow (Columbia, 1987), Michael Spence (Stanford, 2001), Joseph Stiglitz (Columbia, 2001), Jean Tirole (Toulouse School of Economics, 2014).

 2. http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/04/18/25-nobel-d-economie-denon...

 3. Idem.

 4. https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/front-national-la...

 5. Idem.

 6. Idem.

 7. Idem.

 8. Idem.

 9. Sur l’Institut de l’entreprise, voir: http://www.institut-entreprise.fr/

 10. http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf-articles/actu/OFCE-PB16-version-final...

 11. http://www.institutmontaigne.org/presidentielle-2017/candidats/marine-le...

 12. Idem.

 

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