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Publié le 11 Juin 2015

La dernière page, par Gazmend Kapllani (*)

Voici un roman aussi original que bien mené. 

Une recension de Jean-Pierre Allali
Il nous entraîne d'Athènes à Tirana et de Tirana à Shanghaï. Ali vient de mourir. Cet Albanais musulman, au demeurant sans histoires, ce veuf depuis de longues années, qui vivait tranquillement auprès de sa compagne Éva, vient de s'éteindre. Le hic, le mystère, c'est que cette mort a eu lieu à Shanghaï, dans la lointaine Chine. Mais qu'est-ce qu'Ali était-il donc allé faire au pays de Mao ?
Son fils, Melsi, journaliste et écrivain, prévenu par Éva, qui vit désormais en Grèce, rejoint Tirana, la capitale albanaise, pour engager les formalités de rapatriement du corps du disparu. Les tracasseries administratives seront, on s'en doute, lourdes et coûteuses. Bien que les relations avec son père se soient distendues au fil des ans, Melsi tient à accomplir son devoir de fils.
La découverte d'un cahier marron dans les affaires de son père va bouleverser le quotidien et les certitudes de Melsi. Il s'agit du manuscrit d'un roman écrit par Ali. Le titre du récit le laisse perplexe : « La singulière histoire d'un crypto-Juif. Première version ». Melsi se plonge dans la lecture de ce livre et, au fil des pages, réalise que le personnage central, le Juif grec Isa, n'est autre que son propre père. Il découvre peu à peu dans l'ouvrage d'autres membres de sa famille, à peine voilés, comme en filigrane. Melsi réalise qu'il est le descendant d'une famille juive de Salonique. En 1943, lorsque les Allemands transfèrent la quasi-totalité de la communauté juive de Salonique vers les camps de la mort, son grand-père Léon, bibliothécaire, s'enfuit avec les siens en direction de l'Albanie qui, à l'époque, accueillit ainsi plusieurs milliers de Juifs en détresse. Reniant son passé juif, optant tout à la fois pour le communisme et pour l'islam, Léon, devenu Aslan , son épouse, Rita, transformée en Mousiné et leur fils Albert travesti en Isa entament une nouvelle vie. Un seul mot d'ordre pour la nouvelle famille : « Quoiqu'il arrive, n'oubliez pas que nous sommes tous des Musulmans albanais ». Melsi découvre en même temps ses origines et les raisons qui ont conduit son père à se rendre en Chine. Un beau roman.
Note :
(*) Éditions Intervalles. Traduit du grec par Françoise Bienfait et Jérôme Giovendo. Deuxième trimestre 2015. 160 pages. 15 euros
 

CRIF