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Publié le 3 Décembre 2015

Marc Knobel « Nous ne sommes plus en mesure de prévenir les attentats »

L’historien Marc Knobel nous propose un ouvrage fondamental dans la période actuelle : « L’indifférence à la haine » (Berg International, 2015)

Publié dans Actualité Juive le 3 décembre 2015
 
1) Vous vous montrez bien sûr très offensif contre les "porteurs de haine" mais votre argumentation est également virulente à l'égard de tous ceux qui montrent une "indifférence à la haine". De quelles façons une plus forte mobilisation à la fois individuelle et collective pourrait améliorer la situation ?
 
Dans L’indifférence à la haine, je rassemble de nombreuses analyses sur le racisme, l’antisémitisme et l’islamisme radical. Exemple : en janvier 2015, nous avons été profondément marqués par les élans de solidarité qui ont mobilisé des foules entières, après que des attentats aient été commis contre les journalistes de Charlie Hebdo, des policiers et des Juifs. Comme nos concitoyens, nous ressentions une grande tristesse. Mais, il nous a semblé que l'indignation avait été sélective. On se mobilisait pour la liberté d'expression, ce qui est tout à fait honorable, mais combien étaient-ils réellement à penser aux victimes juives de l'hyper Cacher? Quelques semaines plus tard, nous fûmes désorientés. Qu'en était-il de l'élan qui s'était manifesté en janvier ? Comment se faisait-il que les mêmes ne se mobilisent pas pour les victimes des attentats contre l’Université de Garissa, au Kenya (148 morts) ou au Bardo ? Nous aurions dû exiger des gouvernements de plus franches condamnations, des marques d'attention, de solidarité, d'humanité. Pourquoi les Chefs d'Etat n'ont-ils pas été à Garissa? Pourquoi ne défilaient-ils pas, comme ils l'ont fait à Paris? Par ailleurs, combien sont-ils à vouloir aider les chrétiens d'Orient ? Les réfugiés? Quoi de pire (peut-être) que le silence des êtres, tout comme l'indifférence? Il me plaît ici de citer le chanteur Gilbert Bécaud, lorsqu'il disait: "L'indifférence, elle te tue à petits coups". Ajoutons qu'elle (te) tue deux fois. 
 
 
 
2) votre constat sur la diffusion de la haine (en particulier sur internet) est à la fois juste et effrayant. Quelles remédierions préconisez-vous ?
 
De nombreuses lois forment le dispositif français de lutte contre le racisme et l'antisémitisme: la loi de 1881, première loi sanctionnant les propos publics discriminatoires; la loi du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme; la loi du 13 juillet 1990 qui réprime tout acte raciste, antisémite avec en particulier, création du délit de contestation de crime contre l'humanité; le nouveau Code Pénal (1994) renforce la répression des délits racistes; la loi du 3 février 2003 aggrave les peines punissant les infractions à caractère raciste; la loi du 9 mars 2004 précise cette circonstance aggravante quand l'infraction est "précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, images, objets ou actes" racistes ou antisémites. Sur Internet, le dispositif de prévention a été renforcé par la loi de juin 2004. Les hébergeurs et fournisseurs d'accès à Internet ont maintenant l'obligation de contribuer à la lutte contre la diffusion de données à caractère pédophile, négationniste et raciste. Mais, le font-ils vraiment ? Non et c’est un scandale. Bref, l’arsenal juridique existe, il suffit simplement de l’appliquer. Il faut une volonté politique.
 
3) la force de votre ouvrage est de nous montrer qu'il était possible d'anticiper les événements de 2015 puisque vous les annoncez dans des textes qui datent de 2014. Pourquoi cela n'a-t-il pas été fait selon vous - en particulier par les pouvoirs publics ? Au fond, pourquoi n'avez-vous pas été entendu ?
 
Il aurait fallu dénoncer la responsabilité des Etats comme l’Arabie saoudite et le Qatar dans la diffusion du Wahhabisme, soubassement idéologique du terrorisme. Franchement, la France n’est pas crédible dans ses relations avec ces pays. Par ailleurs, devant l'ampleur de la menace, notre dispositif de lutte antiterroriste est faillible. Comme le souligne Marc Trévidic, nous ne sommes plus en mesure de prévenir les attentats, on ne peut plus les empêcher. Quant aux moyens affectés à la lutte antiterroriste, ils sont clairement devenus insuffisants, précise le juge : près de 2.500 personnes travaillent au renseignement et il n’y a que 150 personnes du côté judiciaire. Enfin, il aurait fallu anticiper. Un seul exemple. Au lendemain des attentats, le gouvernement a décidé de passer à l’action contre les lieux de culte abritant un islam radical. C’est ainsi que d’Aubervilliers à Brest, plusieurs mosquées ont été perquisitionnées. Question : pourquoi n’ont-elles pas été perquisitionnées avant que les attentats aient été commis ? 
 
CRIF