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Publié le 6 Février 2014

Une voix qui souffle sur les braises

Par Michaël de Saint-Cheron

 

Dans "Souffler sur les braises pour que revivent les ombres", Claude Bochurberg fait revivre l’histoire tragique des siens, ce qu’un pudique silence l’avait empêché de faire quarante ans durant. Voix qui nous est familière pour avoir créé voici trente ans l’émission Mémoire et vigilance sur radio Shalom, Claude Bochurberg place en exergue la question que Levinas posait voici cinquante ans déjà : « Les vrais livres ne sont-ils que livres ? Ne sont-ils pas aussi la braise qui dort sous la cendre comme les paroles des sages, d’après Rabbi Eliézer? » 

C’est une page de son histoire, la plus intime, donc la plus longtemps gardée enfouie au plus profond de l’indicible, qu’il révèle aujourd’hui, alors qu’il connaît mieux que tant d’entre nous la masse affolante de témoignages, qui ne cesse de s’accroître au fur et à mesure que les derniers survivants, que les derniers enfants sauvés veulent témoigner. Le faisant, il a le sentiment d’accomplir un devoir sacré envers ses morts, son père d’abord Maurice-André Bochurberg (33 ans), ensuite son oncle Jean (29 ans), sa tante Yolande (28 ans), son neveu Jacky (7 ans), les Yamniak. Eux furent déportés sans retour à Birkenau (tout comme son père) le 7 mars 1944. Son père, lui, arrêté à Marseille aux premiers jours de mai 1944 par la milice fit partie du convoi du 15 mai suivant pour les pays baltes. Les premières recherches sont opérées dès les retours des déportés au Lutétia par la tante de Claude, Becky Kaminski, épouse d’un héros des batailles de la Somme puis de Narvik, en Norvège (les 10 et 13 avril 1940), première victoire alliée du début de la guerre, le colonel Georges Kaminski.

 

Yolande et Jean s’engagèrent dans le réseau Corvette des Forces françaises combattantes où ils servirent d’agents de liaison. Dénoncés comme juifs par une femme qui ne fut jamais arrêtée ni donc jugée pour ces trois crimes (et sans doute d’autres), ils furent arrêtés le 28 février 1944. Leur héroïsme leur valut à titre posthume la croix de chevalier de la Légion d’honneur avec attribution de la Médaille de la Résistance. C’est la grand-mère de Claude, Déborah Scheina, née Schneiderman, qui reçut au nom de sa fille ces décorations dans la cour des Invalides, Jacques Jamniak recevant celles pour son fils Jean.

 

L’intérêt insigne du travail de mémoire entrepris ici par Claude Bochurberg est de conjoindre sans cesse les témoignages de l’époque à ceux récoltés plus récemment. Aux lettres et au dossier de Becky, il faut ajouter notamment les pages autour de la déportation de Maurice-André Bochurberg et ses propres dernières lettres à la veille de sa déportation. Mais il y a aussi un témoignage poignant de Henri Zajdenwergier (le dernier survivant des 878 hommes du convoi n°73 du 15 mai 1944 parti pour Kovno (Kaunas, Lituanie) et Reval (Tallin, Estonie). Henri a alors 15 ans. Sa chance fut d’être du groupe expédié à Tallin, car tous ceux qui descendirent à Kovno furent rapidement assassinés sur place par les nazis – ainsi en fut-il pour Maurice.

 

Claude reçut dans sa première émission de radio en 1983, Henri Zajdenwergier. Il en parle trente plus tard avec un bouleversement qui passe jusqu’à nous. Il faut dire qu’il sait transmettre, Claude, cette mémoire, mais avec autant de force que de modestie devant le gouffre qu’elle représente.

                                           

La préface de Serge Klarsfeld est bien plus qu’une préface. Mais entre Levinas et la préface, Claude a inséré deux pages : l’une avec un poème de son fils Lionel, « Le Fort », et l’autre avec un texte d’Arnaud, son autre fils. Ses deux filles Stéphanie et Dorothée, elles, n’écrivent pas. La préface est comme un appel, comme un cri, comme une prière que lance Klarsfeld à travers Bochurberg. Citons ses quelques lignes : 

 

« Le souffle »  sur ces braises c’est la volonté et la personnalité de Claude ; c’est lui qui souffle ; c’est son souffle qui fait revivre ces chères ombres que sont les personnages réunis par le lien familial et qui grâce à Claude ne sont plus en quête d’auteur.

[…] Avec ce souffle sur les braises, il nous réchauffe le cœur, que glace la perspective de la mort de nos proches et notre mort à nous-mêmes. Ce très beau livre de Claude Bochurberg est une victoire sur la Shoah et sur la Mort. »

 

Y a-t-il une victoire sur la Shoah ? La seule sans doute qui tienne est celle qui interdit à la mort, à la poussière et à la cendre, à toutes ces tentatives immondes qui ont contribué à salir, à occulter, à réviser, à nier l’abyssale horreur du Hurban,  la Shoah, d’avoir le dernier mot. La victoire sur cette horreur perdurera tant qu’une femme, tant qu’un homme, tant qu’un juif témoignera contre l’oubli. La victoire sur la mort ? Elle est dans l’art, dans la littérature, dans le témoignage, mais toujours dans l’étude (pour un juif plus encore sans doute que pour les sujets ou citoyens des grands peuples en terme numérique de l’histoire).

 

Ce livre-ci est une  prise sur la mort comme sur l’oubli, mais à la condition que d’autres viennent après nous insuffler leur souffle de vivant - quand ceux de notre génération ne seront plus là pour le faire.

 

Bref, le livre de Claude Bochurberg nous rend comptables de cette mémoire à jamais, nous et nos enfants. Car comme nous le rappelle cette parole de Paul Valéry gravée au fronton du Palais de Chaillot :

 

Il dépend de celui qui passe

Que je sois tombe ou trésor.

 

Il en est de même ici avec la mémoire éternelle de la Shoah !

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