Editorial du président
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Publié le 13 Mars 2012

Deux éditoriaux de Richard Prasquier sur l’affaire Al Dura

Afin que nos lecteurs aient tous les éléments pour mieux comprendre la controverse née de la lettre envoyée par Théo Klein à Richard Prasquier, nous republions deux articles écrits par le président du CRIF :

"Sur l'affaire Al-Dura" (Actualité juive du 29 février 2012)

"Reportage à Netzarim, quelle vérité ?" (Le Figaro du 6 mars 2012)

 

Richard Prasquier

la recherche de la vérité est-elle encore une valeur?

Sur l’affaire Al Dura

 

Lorsque j’écris ces lignes, la décision de la Cour de Cassation au sujet des pourvois formés par Charles Enderlin et France 2 contre les arrêts de la Cour d’Appel de Paris du 3 octobre 2007 et du 21 mai 2008 (le plus important) n’est pas encore connue. Elle le sera le 28 février 2012. Les parties avaient été déboutées de leur plainte contre Philippe Karsenty du chef de diffamation publique.

 

Que le pourvoi soit rejeté, ce qui serait logique étant donné l’avis de l’Avocat général du 17 novembre 2011 et le récent arrêt de la Cour d’Appel dans le procès intenté par Jamal Al Dura, ou qu’il ne le soit pas, entrainant une nouvelle bataille judiciaire, je voudrais m’exprimer sur cette affaire, ce que j’ai évité de faire récemment pour ne pas interférer avec le cours de la justice.

 

C’est le 30 Septembre 2000, qu’ont été envoyées de Gaza à Charles Enderlin dans son bureau de Jérusalem les images montrant la mort d’un enfant pris au piège de tirs dont le journaliste, sur la foi de son cameraman, a dit qu’ils provenaient d’une position israélienne. Ces images ont eu un retentissement mondial. Charles Enderlin, que l’on surnommait « scoopy », avait là le scoop de sa vie.

 

C’est le 26 novembre 2004 qu’un article de Media Ratings dénonce ces images comme des faux : d’où la plainte pour diffamation dont l’aboutissement pourrait avoir lieu le 28 février 2012, plus de 7 ans après. Certains, comme le regretté Gérard Huber avaient déjà bien avant attiré l’attention sur les anomalies du reportage. Considérant que celui-ci avait exacerbé la haine contre Israël, Philippe Karsenty en a fait un combat personnel. Il lui a fallu une ténacité singulière pour résister à la pression, aux insultes, au mépris et au silence. Il a souvent agi de façon brutale, mais depuis que je suis devenu président du CRIF et que j’ai pris connaissance du dossier, j’ai compris que sa véhémence était au service de la vérité. Et nous l’avons soutenu quelles qu’en fussent les conséquences.

 

Comme tous ceux qui se sont donné le mal d’analyser soigneusement les documents vidéo, je pense non seulement que les impacts de balles ne peuvent pas provenir des positions israéliennes, mais en plus que considérer que l’enfant et l’adulte ont reçu à l’issue du reportage des tirs qui ont tué l’un et blessé l’autre ne correspond absolument pas à ce qu’on voit sur les images. J’ai montré les documents à des chirurgiens militaires. Leur réponse a été sans appel : les images sont truquées. Le CRIF a proposé un comité d’experts techniques : les tergiversations de la direction de France Télévisions de l’époque ont fait échouer cette tentative.

 

Dans cette affaire certains se déterminent sur les documents et d’autres sur les sentiments. Un inconnu au verbe brutal n’avait aucune chance devant le confrère Charles Enderlin, indéboulonnable correspondant à Jérusalem, connu de tous les journalistes de France. En représailles, la porte des medias s’est fermée devant ceux qui s’opposaient à lui. Nous espérons que la décision de la Cour de Cassation permettra d’ouvrir cette porte. Car dans l’affaire Al Dura, la liberté d’expression a été aussi malmenée que la recherche de la vérité…..

 

Richard Prasquier

Président du CRIF

 

 

Pour la vérité dans l’affaire Al Dura

 

Le 30 septembre 2000  la voix solennelle de Charles Enderlin, commentant un reportage filmé au carrefour de Netzarim, dans l’enclave de Gaza, déclarait, images à l’appui, que l’enfant et l’adulte qui tentaient de se protéger devant un mur avaient été, le premier, tué, et le second, le père, gravement blessé, par des tirs venus des positions israéliennes. Le reportage, distribué gratuitement, a fait le tour du monde et a eu un impact extraordinaire. On ne compte pas les timbres, les rues et les places du nom de Mohamed Al Dura dans le monde musulman. Israël en a jusqu’à aujourd’hui été stigmatisé comme un tueur d’enfants, avec des allusions au juif éternel, meurtrier de Jésus et amateur de crimes rituels. Daniel Pearl a été égorgé devant la photo de l’enfant martyr.

 

Peu à peu des incohérences sont apparues : 45 mn de fusillade pour abattre deux civils désarmés et immobiles? Si peu d’impacts de balles sur le mur? Pas une trace de sang sur le corps des victimes ? Et pourquoi ces mouvements surprenants chez l’enfant? Bien des questions se posèrent à la lecture soigneuse des images. Charles Enderlin, qui était à Jérusalem et non pas à Netzarim le jour des faits, faisait toute confiance à son cameraman mais celui-ci variait continuellement d’explications. France 2 possédait les rushes de toute la scène, mais Enderlin prétendait qu’il ne les avait pas tous diffusés parce que l’agonie de l’enfant était « insupportable à regarder ». Face à la polémique naissante, trois journalistes, Mrs Jeambar, Rosenzweig et Lecomte purent cependant voir ces rushes et vérifier qu’il s’agissait de séquences de mises en scène typiques et qu’aucune agonie de l’enfant n’avait  été filmée. « Vérité du contexte » soutint Charles Enderlin. Autrement dit, mensonge factuel. C’est alors que Philippe Karsenty patron d’un site internet dénonça une supercherie, qui lui valut une plainte en diffamation de la part de France 2 et de Charles Enderlin.

 

Nous étions alors en novembre 2004. Premier procès perdu par Karsenty en octobre 2006, puis procès en appel. France 2 ne voulant pas montrer ces rushes qui décrédibilisaient le témoignage de son journaliste, la Cour d’Appel ordonna (octobre 2007) qu’ils lui soient communiqués.  Grâce à ces rushes, elle jugea  dans un arrêt très documenté, que Karsenty avait eu des raisons d’émettre ses critiques. Ses adversaires furent donc déboutés. Nous étions en mai 2008.  Encore un long intervalle de trois ans et demi, jusqu’à la décision récente de la Cour de Cassation le 28 février 2012, cassant, contre l’avis de son Avocat Général, situation pour le moins inhabituelle,  l’arrêt relaxant Philippe Karsenty. Retour à la case départ : il faudra un nouveau procès d’appel. Encore des années de procédure.

 

La Cour de Cassation a fait valoir qu’en matière de diffamation, c’est à celui  qui est accusé d’avoir diffamé d’apporter les éléments justifiant  sa bonne foi : la Cour d’Appel n’avait pas à se substituer à lui en obligeant France 2 à fournir les rushes.  La décision de la Cour avalise donc dans les faits une situation scandaleuse, celle de la rétention d’informations susceptibles d’aider à la vérité d’un reportage. Pourtant, sur le plan moral et professionnel, c’était bien à la chaine d’information publique d’apporter spontanément les éléments susceptibles de mieux comprendre ce qui s’était  passé au carrefour de Netzarim. Elle a préféré l’obstruction. La Cour la justifie en droit. Ce n’est qu’une victoire à la Pyrrhus.

 

L’expression du doute sur l’affaire Al Dura, argumenté par exemple par le film remarquable de la cinéaste allemande Esther Schapira (2009, jamais présenté en France), et par le livre de PA Taguieff sur la « Nouvelle propagande anti-juive », a toujours été bloquée dans notre pays par des réactions partisanes. Le CRIF  a toujours recherché le meilleur moyen pour faire émerger la vérité sur une affaire emblématique à de nombreux titres. Nous continuons à demander que toute la vérité soit faite, en  faisant travailler ensemble un petit groupe d’experts techniques indépendants sur les documents qui restent à notre disposition en utilisant les moyens modernes d’investigation. Malgré la disparition physique des lieux, leurs conclusions permettraient d’aller très loin dans une reconstitution qui ne soit pas uniquement la vérité du droit, mais la vérité des faits. J’en ai fait l’expérience en montrant les documents à des experts en chirurgie militaire. Malheureusement, la tentative que nous avions voulu mener avec France Télévisions a été torpillée sous de mauvais prétextes. Il n’est pas trop tard pour la reprendre de façon crédible, officielle, indépendante et peut-être internationale, en parallèle avec l’éprouvante et interminable action judiciaire. Mais la recherche de la vérité est-elle encore une valeur en ces temps où la solidarité idéologique prime sur tout le reste ?

 

Richard Prasquier

Président du CRIF