Editorial du président
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Publié le 28 Février 2013

Le départ d'un pape

Ce soir à 20 h aura lieu un événement inouï: Benoit XVI deviendra « pape émérite » et les cardinaux présents à Rome commenceront leurs congrégations générales pour préparer le futur conclave.

 

J’ai rencontré le Pape à plusieurs reprises, à Birkenau, à Jérusalem, au Vatican et bien sûr à Paris où j’ai eu l’honneur de m’adresser à lui à la nonciature au nom de la communauté juive de France. Je voulais dans cette journée lui exprimer ma reconnaissance et ma profonde appréciation pour ce qu’il a fait en faveur des relations de l’Eglise chrétienne avec les Juifs, ainsi que, à titre d’observateur non impliqué, mon admiration pour l’humilité, indice de véritable grandeur, avec laquelle il quitte sa charge.

Benoit XVI a préservé le lien solide qui joint l’Eglise avec les Juifs. Les acquis de Vatican II sont restés fermement incrustés. Ils n’ont pas été ébranlés, comme beaucoup le redoutaient, par les tentatives de rapprochement avec les « intégristes » de la mouvance du défunt Mgr Lefebvre. Ceux-ci comptent dans leurs rangs de véritables antisémites et leur conception du monde juif ne s’écarte pas reste celle de la théorie de la substitution et de la synagogue aux yeux bandés, telle qu’on la voyait (avant les travaux) sur la cathédrale de Strasbourg. Il y a aujourd’hui dans l’Eglise de très fermes oppositions à ces opinions.

 

Les insultes dont Benoit XVI a été abreuvé (le Pape nazi, le panzer pape, etc.…) déshonorent leurs auteurs. La famille Ratzinger pendant la guerre a rejeté le nazisme, idéologie anti-chrétienne. Cependant, le passé de Benoit XVI le portait à faire une distinction, inacceptable pour les historiens,  dans l’histoire de l’Allemagne, entre un groupe de criminels nazis et une Allemagne globalement innocente et prise en otage. Et il n’a apparemment pas beaucoup cherché à renforcer ses connaissances historiques sur le nazisme.

 

Mais, comme le dit le Grand Rabbin de France Gilles Bernheim, dans l’interview accordée au Monde et que nous publions dans ce numéro de la Newsletter,  les relations entre l’Eglise et le monde juif n’ont pas été affectées. Aucun Pape n’a reçu autant de représentants du monde juif et la volonté d’inscrire le christianisme dans sa filiation juive s’est renforcée au cours de son pontificat. Ce qui manquait peut-être à Benoit XVI était une connaissance personnelle et affective du judaïsme. Les très anciens souvenirs d’amitié  avec des enfants juifs de Wadowice ont joué un rôle important dans l’attitude de Jean Paul II. Mais aujourd’hui, comme le dit le Grand Rabbin de France dans son interview au Monde que nous reproduisons dans ce numéro de la Newsletter, le temps est aussi venu pour les Juifs de reconnaître que des chrétiens peuvent être exemplaires, non en dépit de leur foi chrétienne, mais grâce à celle-ci.

 

Quant aux initiatives pour honorer Pie XII, dont le comportement reste caractérisé par une ambiguïté silencieuse là où le monde avait besoin d’une parole de prophète, elles ne pourront être accueillies sans hostilité de la part du monde juif que si l’ouverture des archives et les conclusions des historiens montraient que son soutien aux Juifs persécutés fut véritablement actif et non pas celui d’un homme qui répugnait à prendre ouvertement des responsabilités.

 

Quant à son successeur, nous ne pouvons qu’espérer qu’il continuera dans la voie de rapprochement et d’estime qui ne doit ni se tarir ni se fossiliser. Nous ne connaissons pas les positions de tous les « papabili » et nous n’avons évidemment aucune raison d’émettre d’opinion envers tel ou tel d’entre eux. Une exception cependant : l’un des plus brillants cardinaux de sa génération, Andres Rodriguez Maradiaga du Honduras, est un véritable antisémite à l’ancienne, qui pense que les Juifs dominent le monde et qu’ils cherchent à déstabiliser l’Eglise en dévoilant, dans les journaux qu’ils contrôlent, les affaires de pédophilie. Il serait difficile d’espérer quoi que ce soit avec un homme qui émet de telles opinions…

 

La tenue du conclave oblige à reporter le voyage prévu début mars en Israël pendant lequel devait avoir lieu l’inauguration du Mémorial en l’honneur du Cardinal Lustiger à Abu Gosh. Ce n’est que partie remise : cette inauguration aura lieu au cours de la dernière semaine d’octobre 2013. Ce sera l’occasion de rendre hommage à un homme qui a symbolisé plus que tout autre les liens indissolubles de l’Eglise avec ses « frères ainés » juifs.

 

Richard Prasquier

Président du CRIF