Lu dans la presse
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Publié le 31 Mars 2020

France - Confinement : À l'heure du coronavirus, la "radio thérapie" France Bleu

La radio de service public câline et « soigne » des millions de Français en quête d'une oreille attentive et rassurante, d'une voix informative et divertissante.

Publié le 28 mars dans Le Point 

Il y a cette dame d'un certain âge qui se plaint, un matin, sur France Bleu Cotentin, du gâchis de papier que représentent les attestations qu'il faut remplir à chaque déplacement. Peut-être pourrait-on écrire la date au « crayon de bois » pour la gommer et la modifier chaque jour ? râlote-t-elle. « Ouh la, la, surtout pas, surtout pas ! » intervient le journaliste, rieur. Et celui-ci d'expliquer une énième fois l'intérêt sanitaire du confinement, sans que jamais sa voix ne trahisse le moindre signe de lassitude. De la pédagogie, de la patience et une immense empathie pour les gens : être journaliste à France Bleu est une vocation.

Le lendemain matin, sur la même antenne, il y a ce monsieur, mis au chômage partiel, qui tue le temps en écrivant des vers. Il donne son pseudonyme d'artiste, puis hésite – un peu, pas longtemps – avant de se lancer : « Sans respect ne peut naître la confiance… » Enfin, quelque chose qui s'en rapproche. On était en voiture pour aller faire un plein de courses, et on n'a pas voulu lâcher le volant pour griffonner ce premier vers sur le recto de notre attestation, le seul bout de papier qui traînait sur le siège passager.

De toute façon, il est trop tard. La psychologue de France Bleu a déjà réagi à l'antenne : « Oui, l'écriture, c'est très bien. Tenir un journal de bord permet d'être plus résilient, face à l'isolement. » Puis on est passé à autre chose : un autre auditeur veut, lui aussi, partager ses hobbys en temps de confinement. Un autre a besoin d'être rassuré avant de pousser un coup de gueule contre les pouvoirs publics ; il tente cette proposition : « Pourquoi ne pas ouvrir les toilettes des campings municipaux aux routiers et à ceux qui se dévouent pour nous livrer la nourriture dont nous avons besoin ? Ah ça, les maires, on ne les voit qu'aux élections ! » bougonne-t-il.

Coach, psy et jardinier

C'est désormais une auditrice qui transmet son « amitié » au personnel soignant. Sa nièce, sa sœur, enfin quelqu'un de la famille, est infirmière, raconte-t-elle et… Et c'est comme ça chaque jour, depuis que le président Macron a enjoint à chacun de rester chez soi. C'est la thérapie collective France Bleu. Il n'y a qu'à entendre comment les habitants parlent de leur radio, complimentent les matinaliers, leurs journalistes et animateurs préférés pour comprendre à quel point l'antenne exerce sa mission de service public.

Le 16 mars dernier – une éternité ! – sur BFM TV, Christophe Castaner expliquait le fonctionnement des attestations de déplacement et en profitait pour souligner le rôle primordial de la presse : « L'information jouera un rôle essentiel dans le combat contre le virus », disait-il. France Bleu fait bien davantage : elle informe, écoute, donne la parole, rassure… Un coach en parentalité, un spécialiste du « do it yourself », un entraîneur sportif, un agenceur d'intérieur, un jardinier donnent leurs conseils pour lutter contre la grosse déprime qui s'annonce. On se moque gentiment de ceux qui disent un peu n'importe quoi sans jamais se montrer ni moralisateur ni condescendant – certains auditeurs mériteraient pourtant une bonne fessée !

Face à la crise, même France Bleu et ses rédactions ultra-locales doivent se réorganiser. Depuis le 25 mars et les débuts du confinement, le réseau France Bleu est passé de 44 radios locales à 16 antennes régionales qui, chaque jour, assurent un « décrochage multi-local », de 6 heures à 10 heures. Dans le Grand Est, par exemple, les stations de Metz, Nancy, Reims et Strasbourg produisent un programme mutualisé. Pareil pour France Bleu Berry, Orléans et Touraine ; idem en Bourgogne-Franche-Comté et un peu partout en France.

« Mais nous avons gardé le meilleur de chaque station et notre ADN n'a pas changé : nous restons une radio positive, généreuse et proche, qui vit en circuit court avec ses auditeurs », assure Jean-Emmanuel Casalta, directeur national du réseau France Bleu. « Depuis le début de l'épidémie, nous avons voulu maintenir cet esprit en nous recentrant sur deux missions : le lien social et l'information de proximité, au rythme de douze éditions par jour », ajoute-t-il. « La radio 100 % solidaire » est devenue le leitmotiv de la station, qui a bouleversé sa grille pour aider les gens à « traverser cette situation difficile, sans renoncer à l'idée de se divertir, de sourire, sans abandonner la musique », poursuit le patron de « Bleu ». « Nous ne sommes pas BFM, pas question d'être anxiogène même si nous remplissons évidemment notre devoir d'information », souffle un cadre du réseau.

« Sortir des murs du confinement »

« Ce que nous voulons, c'est offrir à nos auditeurs l'info dont ils ont besoin, tout en leur donnant l'occasion de sortir des murs du confinement. Nous multiplions les chroniques et les conseils tout en maintenant nos jeux et les chansons. Les auditeurs sont également très présents à l'antenne. L'idée, c'est de maintenir des repères et de proposer des solutions aux gens, en leur permettant de s'évader un peu », précise Jean-Emmanuel Casalta.

Dans le Grand Est cruellement frappé par l'épidémie (les studios régionaux de France Bleu sont fermés, même si l'équipe de la station est sur le pont), France Bleu « tisse plus que jamais du lien social », défend Maël Lerner, directeur des programmes de France Bleu Lorraine Nord. « Notre matinale vit en mode confinement : cours de gym à 8 h 40, cours de cuisine pour les nuls à 8 h 20, cours d'orthographe et de conjugaison pour les parents à 7 h 40 ». Psys, avocats, médecins et coachs en tout genre se relaient, ici aussi, pour prodiguer leurs bons conseils : comment télétravailler ? supporter un ado coincé entre quatre murs ? repérer les signes de la maladie ? éviter de déprimer ? « Les grandes voix des quatre stations régionales, qui n'en font plus qu'une, sont à l'antenne et constituent autant de repères. Les auditeurs, eux-mêmes, forment un réseau solidaire pour aider ceux qui en ont besoin, tout en gardant notre bonne humeur », raconte Maël Lerner.

« Sans livre en braille, je ne vis plus »

L'autre matin, une auditrice non-voyante a lancé un SOS en direct : « Sans livre en braille, je ne vis plus. » « Pas de problème », a aussitôt réagi un autre fidèle. « Donnez-moi votre adresse hors antenne, je m'enduis de gel hydro-alcoolique et vous dépose quelques romans sur le rebord de votre fenêtre ! » Dans le Nord-Cotentin, où les nuits, matinées et soirées sont encore fraîches, c'est un autre problème qui s'est posé : « Peut-on prendre la remorque pour donner du bois de chauffe à notre fille ? Elle n'en a plus et avec deux enfants, c'est un problème… » Première colle de la matinée pour l'animatrice, qui renvoie la balle à la préfecture ou au commissariat le plus proche. France Bleu n'a pas la science infuse, mais sait vers qui se tourner pour trouver l'info.

La radio n'oublie pas non plus de rendre hommage « aux héros du quotidien ». « Les soignants, bien sûr, mais aussi les caissièr(e)s et les routiers », énumère Maël Lerner. Chaque soir, à 20 heures, alors que les applaudissements fusent des balcons, toutes les stations de France Bleu diffusent simultanément la chanson de Soprano, « À nos héros quotidiens », et invitent leurs auditeurs à monter le son. Pour le reste, la playlist (programmation musicale) de la station n'a pas changé. Un savant mélange de Rolling Stones, Nea et Gainsbourg. La météo subsiste, seul le radio trafic, qui permet en temps normal aux auditeurs d'éviter les bouchons, vit au ralenti. Comme les auditeurs. Comme nous tous.