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Publié le 20 Avril 2020

France - La traque du bouc émissaire, une réponse aux épidémies inexplicables

Faute de comprendre les causes du mal, les sociétés médiévales désignaient les « semeurs de pestes », juifs, étrangers ou marginaux. Une logique de stigmatisation qui a disparu aujourd’hui, hormis quelques attitudes de rejet.

Publié le 18 avril dans Le Monde

Les épidémies conduisent souvent à la désignation de boucs émissaires. « Nommer des coupables, c’est ramener l’inexplicable à un processus compréhensible », écrit l’historien Jean Delumeau, auteur de La Peur en Occident (XIVe-XVIIIe siècles) (Fayard, 1978). Pendant les grandes pandémies de peste du Moyen Age et de l’Ancien Régime, des marginaux, des étrangers et des vagabonds, mais surtout des juifs, ont ainsi été persécutés parce que la rumeur publique les accusait d’être des « semeurs de peste ».

Pendant la peste noire (1347-1353), les attaques contre les juifs ont été « particulièrement brutales » dans la péninsule Ibérique : à Lérida (Catalogne), 300 d’entre eux ont été tués, soulignent Stéphane Barry et Nobert Gualde dans La Peste noire dans l’Occident chrétien et musulman (dans Epidémies et crises de mortalité du passé, Ausonius Editions, 2007). En Provence, 40 ont été brûlés en une nuit, à Toulon, en avril 1348. « Bien que le pape Clément VI cherche à les protéger en menaçant d’excommunication, en juillet et septembre 1348, ceux qui assassinent et pillent les juifs, près de 900 sont brûlés quelques semaines plus tard à Strasbourg, alors même que la peste ne s’est pas encore manifestée. »

Les pogroms se poursuivent en 1349. « A Strasbourg, 1 000 à 1 800 juifs sont assassinés, dont certains brûlés vifs, lors de la Saint-Valentin – les survivants sont ensuite expulsés de la ville, ajoute Patrice Bourdelais, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Des pogroms ont également lieu, cette année-là, à Worms et à Mayence, en Allemagne. Il s’agit au départ de mouvements spontanés de la population qui rend les juifs responsables de la propagation de la peste, au point que de nombreuses municipalités sont renversées et remplacées par de nouveaux échevins plus accueillants à l’antisémitisme et à l’expulsion des juifs. »

Une logique atténuée au XIXe siècle

La vindicte publique s’en prend aussi aux déshérités. Pendant la peste médiévale, le viguier, une sorte de juge, de Narbonne, André Benoît, écrit ainsi aux jurés de Gérone (Catalogne) que dans les environs de sa juridiction, « de nombreux empoisonneurs, dont beaucoup sont des mendiants et des pauvres, ont été capturés avec leur poudre empoisonnée ». Parfois, les malades eux-mêmes sont persécutés : en 1348, les autorités d’Uzerche décident de les expulser de la ville.

Au XIXe siècle, cette logique de bouc émissaire s’atténue – sans pour autant disparaître. « Pendant l’épidémie de choléra de 1832, certains villages s’arment contre les étrangers, les ouvriers saisonniers, les travailleurs migrants ou les vagabonds, poursuit l’historien Patrice Bourdelais, auteur des Epidémies terrassées. Une histoire de pays riches (La Martinière, 2003). A Paris, les chiffonniers n’ont pas bonne presse. »

En 1918-1919, la grippe espagnole suscite, elle aussi, des mouvements de rejet envers les Espagnols – même si cette maladie doit son appellation au fait que la presse de Madrid, plus libre que les autres, a été la première à faire état du mal. « Certains Français accusent les Espagnols de répandre la maladie, explique Freddy Vinet, professeur à l’université Paul-Valéry Montpellier-3 et auteur de La Grande grippe - 1918, La pire épidémie du siècle (Vendémiaire, 2018). Dans le sud de la France, des manifestations d’hostilité ont lieu envers les immigrés issus de la péninsule Ibérique. »

Depuis son apparition, le coronavirus a parfois suscité, en Europe et aux Etats-Unis, des réactions de rejet envers les Asiatiques. Certains dirigeants nationalistes ont en outre fait du Covid-19 une maladie liée à l’immigration : le premier ministre hongrois, Viktor Orban, a ainsi affirmé que ce virus « introduit par les étrangers » « se propageait parmi eux ». Aucune communauté, nationalité ou ethnie n’a cependant été désignée, pour l’instant du moins, comme bouc émissaire et persécutée à ce titre.

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