Tribune
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Publié le 15 Octobre 2013

La fachosphère sur le Net

Par Marc Knobel

 

Depuis de nombreuses années, le développement de la xénophobie, du racisme et de l’antisémitisme sur Internet dépasse l’entendement et la permissivité se nourrit de la lassitude ou de la défection de ceux qui dans le monde politique ou associatif auraient pu pourtant prendre la parole pour tenter de changer le cours des choses. De fait, la diffusion de nombreux contenus illicites sur Internet est passée dans les mœurs. Certes, des associations antiracistes ont engagé des procédures afin de s’opposer à ces marchands de haine, toutefois, pourquoi s’en remet-on en ce domaine au seul dévouement de ces associations ? La lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet n’incombe-t-elle pas AUSSI aux pouvoirs publics ?

De plus, il est vrai qu’un facteur renforce la réalité d’Internet comme zone de non-droit généralisée : le solide reste de l’idéologie qui a porté le développement de cet outil dans les conditions que l’on connaît. Nous avons en effet à faire à un curieux mélange du vieux slogan libertaire « il est interdit d’interdire » et du très libéral « laissez-faire ». De fait, le réseau Internet reste culturellement et idéologiquement un réseau américain. La loi qui le régit, du point de vue de la circulation de l’information est la « non-loi » inscrite dans la Constitution américaine : le principe de liberté totale de communication. Qu’on s’entende bien : nul ne reproche aux États-Unis d’être une grande démocratie. Mais ce choix doit-il être le nôtre ? Ce choix, en matière de « liberté » totale des communications, doit-il être celui de la planète entière ? Le réseau Internet est-il un réseau mondial américain ou un réseau potentiellement universel ? Et puis, il faut le redire : en France, le racisme est un délit, non une opinion. Et cette différence est de taille. Cependant, il n’existe pas une uniformité dans le discours raciste qui s’exprime sur internet. Il convient d’opérer alors une vraie distinction entre la mise en ligne de contenus politisés, avec une véritable propagande élaborée par des groupuscules plus ou moins hiérarchisés parfois localisés à l’étranger, d’une part et les expressions d’un racisme plus « ordinaire », œuvre d’internautes se sentant légitimés dans leur discours par le relatif anonymat d’internet, d’autre part. Il est donc nécessaire de comprendre chacune de ses composantes.

 

La propagande élaborée

 

En quelques clics ou en effectuant une recherche à base de mots clés, nous  « tombons » assez facilement sur des blogs ou des sites qui affichent des contenus xénophobes. Les textes qui sont publiés répondent à une logique implacable. Ils s’adressent à des militants, des sympathisants, ou à des gens désillusionnés ou écœurés par la politique et le système. Il s’agit alors d’animer leur militantisme, de l’affirmer ou de l’encourager. Il s’agit aussi de dé- tabouiser, les conforter dans leur choix. Ces sites ne sont pas simplement des défouloirs, ce serait d’ailleurs une erreur de le penser. Ils ont visé un objectif politique.

 

Le Monde du 4 juillet 2011 a réalisé une très intéressante cartographie de l'ensemble de la blogosphère politique en 2011, réalisée par Linkfluence avec Le Monde et Le Monde.fr. Dans son compte-rendu, le quotidien a insisté sur le fait que l'extrême droite française a renforcé sa présence sur l’Internet. L'année de la dernière élection présidentielle, cet institut a évalué à 4,4 % la proportion de blogs se rattachant à cette famille dans la blogosphère politique. En 2009, ce poids était passé à 5,2 %. Il est désormais, pour 2011, à 12,5 %, soit 132 sites sur un total de 1052. Internet est effectivement devenu l'un des terrains de jeu privilégié des droites extrêmes. Celles-ci ont très vite investi ce nouveau média pour en faire ce qu'elles appellent un « outil de ré information » et contourner « la pensée unique », informe le Monde.

 

Bref, depuis une dizaine d’années, Internet est devenu un lieu privilégié de diffusion et d’échanges et tous les courants de l’extrême droite y sont représentés, toutefois sans véritable unité idéologique.

 

-          Premièrement : on trouve un courant dénommé identitaire qui promeut une vision « ethodifférencialiste », totalement opposé au métissage et violemment anti-islam. Il a pour horizon une grande Europe des « patries charnelles » qui se résume, in fine, à une Europe-continent blanc.

 

-          Deuxièmement : d’autres sites représentent le courant Nationaliste révolutionnaire (ou NR). Ils sont à la fois comme nationalistes, anticapitalistes et anticommunistes, anti-américains (par rejet du système libéral) et du « cosmopolitisme » et très violemment antisionistes.

 

-          Troisièmement : les blogs et sites catholiques ne sont pas très nombreux. Certains sont très influents à l'extrême droite, comme le Salon Beige ou encore E-deo, absent néanmoins de la cartographie de Linkfluence, rapporte Le Monde.fr. Ils ne partagent pas tous la même idéologie. Si le socle commun est d'être hostile à Vatican-II, homophobes, opposés à l'avortement, à l'euthanasie, et à la République, certains versent clairement dans un antisémitisme des plus virulents.

 

Bref, la fachosphère française n’est pas monolithique. Elle est vaste, composée de multiples familles et son organisation est parfois complexe.

 

Internet n'est qu'une vitrine de la société, et si l’extrême-droite monte en puissance sur Internet, c'est d'abord le signe qu'elle monte dans la société tout entière. S’il faut en appeler à la responsabilité individuelle et collective de tous les acteurs d'Internet pour que la Toile ne devienne pas la vitrine mondiale de la haine, c'est d'abord aux causes profondes du racisme et de l’extrémisme qu'il faut s'attaquer.

 

Pas seulement à sa visibilité.

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