Tribune
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Publié le 2 Juillet 2013

Tension au sein de l'islam: quelle réponse?

Par Tony Blair, ancien premier ministre du Royaume-Uni

 

Tout le monde considère le meurtre de Lee Rigby, le soldat britannique assassiné le 22 mai dans une rue d'une banlieue de Londres, comme une horreur.

Certes, mais on peut y voir aussi un acte sans autre portée que celui d'un fou, sous-tendu par une conception pervertie de l'islam. S'il ne faut pas réagir de manière excessive, nous ne devons toutefois pas nous bercer d'illusions en croyant que nous pouvons nous protéger en agissant exclusivement sur le plan intérieur. Car l'idéologie que j'évoquais est là, et elle ne faiblit pas.

 

Considérons le Moyen-Orient. La Syrie se trouve sur la voie d'une désintégration de plus en plus rapide. Le président Bachar el-Assad pulvérise brutalement des communautés entières hostiles à son régime. Beaucoup de gens dans la région pensent qu'Assad veut chasser les sunnites des zones qu'il contrôle et créer à proximité du Liban un État indépendant, débarrassé des sunnites.

 

L'opposition syrienne est formée de nombreux groupes. Mais les combattants associés au groupe Jabhat al-Nosra affilié à Al-Qaida bénéficient d'un soutien grandissant, qu'il s'agisse de livraisons d'armes ou d'argent en provenance de l'étranger.

 

La réticence de l'Occident à s'impliquer est tout à fait compréhensible. Néanmoins, nous sommes seulement au début d'une tragédie susceptible de déstabiliser la région. La Jordanie fait preuve d'un courage exemplaire, mais il y a une limite au nombre de réfugiés qu'elle peut raisonnablement absorber. Le Liban est fragilisé, tandis que l'Iran pousse le Hezbollah dans la bataille, Al-Qaida essaye à nouveau de provoquer un carnage en Irak, tandis que l'Iran continue son ingérence.

 

En Égypte et en Afrique du Nord, les Frères musulmans sont au pouvoir, mais la contradiction entre leur idéologie et leur incapacité à gérer des économies modernes alimente les pressions des groupes extrémistes et une instabilité croissante.

 

Quant au régime iranien, il veut toujours parvenir à l'arme nucléaire et continue à exporter terreur et instabilité. En Afrique sub-saharienne, le Nigeria fait face à une vague d'attentats abominables. Au Mali, la France a mené de rudes batailles pour empêcher les extrémistes de mettre la main sur le pays.

 

Il faut aussi compter avec le Pakistan et le Yémen. Plus à l'est, la frontière entre la Birmanie et le Bangladesh est sous haute tension. Et l'on pourrait allonger la liste avec les événements récents au Bangladesh même ou dans la province à majorité musulmane de Mindanao aux Philippines.

 

Je comprends le désir d'expliquer les conflits par des problèmes locaux, l'aliénation économique et évidemment la «folie». Pourtant une question se pose: ne pouvons-nous pas trouver un élément commun à ces conflits, une idéologie qui y conduit ou au moins les exacerbe?

 

Il n'y a pas de problème avec l'islam. Ceux qui l'ont étudié savent qu'il est pacifique. Il n'y a pas de problème non plus avec les musulmans en général.

 

Mais il y a un problème au sein de l'islam. Nous devons en toute honnêteté le prendre en considération. Je crains que la tension qui se manifeste actuellement au sein de l'islam ne soit pas due simplement à une poignée d'extrémistes. Elle tient intrinsèquement à une conception de la religion et de son rapport à la politique qui est incompatible avec une société plurielle, ouverte et libérale.

 

À travers le Moyen-Orient et au-delà, un combat se déroule. D'un côté les islamistes et leur idéologie exclusive et réactionnaire, ils constituent une minorité significative, bruyante et bien organisée. De l'autre, les partisans de la modernité, ils méprisent la nouvelle oppression exercée aujourd'hui par les fanatiques religieux, comme ils détestaient hier l'oppression des anciens dictateurs corrompus. Ils constituent potentiellement la majorité, mais hélas ils sont mal organisés. Tous les engagements dans ces États violents ne doivent pas être militaires et tous les engagements militaires ne doivent pas faire intervenir les troupes. Mais le désengagement à l'égard de ce combat ne nous apportera pas la paix.

 

Une politique de défense n'y suffira pas non plus. Si une politique de défense résolue a permis de résister au communisme révolutionnaire, ce dernier a été finalement vaincu par une meilleure idée: la liberté. On peut faire la même chose ici, la meilleure idée étant alors une conception moderne de la religion et de sa place dans la société, un modèle basé sur le respect et l'égalité entre les personnes de fois différentes. La religion peut avoir son mot à dire dans le système politique, mais ce n'est pas à elle de le gouverner.

 

Nous devons commencer avec les enfants, ici et à l'étranger. C'est pourquoi j'ai créé une fondation dans l'objectif spécifique d'éduquer les enfants de religions différentes à se connaître et à vivre ensemble. Nous sommes présents dans 20 pays et nos programmes fonctionnent. Mais c'est une goutte d'eau dans l'océan, comparé au tsunami d'intolérance enseigné à un si grand nombre.

 

Aujourd'hui plus que jamais, nous devons être forts, et avoir une bonne stratégie.

 

(Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz) www.project-syndicate.org