Blog du Crif - Commémoration à Beaune-la-Rolande : Discours d'Eliane Klein, déléguée régionale du Crif Région Centre

19 Mai 2022 | 406 vue(s)
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France

Vendredi 9 août 2024, s'est tenue la cérémonie en hommage aux victimes de l'attentat terroriste de la rue des Rosiers, organisée par le Crif en collaboration avec la Mairie de Paris. La cérémonie s'est tenue devant l'ancien restaurant Jo Goldenberg, au 7 rue des Rosiers. À cette occasion, le Président du Crif a prononcé un discours fort et engagé dans la lutte contre l'antisémitisme sous toutes ses formes, en dénonçant notamment celle qui se cache derrière la détestation de l'Etat d'Israël.

Mardi 16 juillet 2024, s'est tenue la cérémonie nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites et d'hommage aux Justes de France, commémorant la rafle du Vél d'Hiv organisée par le Crif en collaboration avec le Ministère des Armées. Cette année, à l'approche des Jeux Olympiques, la cérémonie s'est tenue au Mémorial de la Shoah. À cette occasion, le Président du Crif a prononcé un discours fort et engagé, dans un contexte national et international difficile.

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Cérémonie commémorative à Beaune-la-Rolande

Discours d'Eliane Klein, déléguée régionale du Crif Région Centre 

Dimanche 15 mai 2022

 

Merci à Mr et Mme Pajon, présents aujourd'hui, ayant reçu la Médaille des Justes pour avoir sauvé la famille de Régine Lippe.

 

"Le temps, pensait-on généralement, apaiserait "les choses". À l'inverse, le temps qui travaille à l'usure du chagrin ... ne cesse d'aviver l'horreur de la colossale hécatombe". (Vladimir Jankélévitch). L'ampleur et la nature des crimes commis contre le peuple juif- la Shoah-nous a laissé un état de sidération et de désolation que rien ne saurait consoler.

Et pourtant, le geste que nous accomplissons ici, comme à Pithiviers, cette commémoration aide à écrire cette HISTOIRE, nécessaire pour comprendre cet évènement inouï, singulier, l'étudier et l'enseigner.

C'est, d'abord, un hommage rendu aux femmes et aux hommes, ceux qui n'ont pas été écoutés après la guerre, ceux qui face à la tentation de l'oubli, face à la relativisation, face à la négation, ont eu le courage de consacrer une partie de leur vie à témoigner, répondant à l'obsession des nazis d'effacer jusqu'aux traces de leurs crimes.

Nous sommes en ce lieu, à côté des stèles où sont inscrits les noms de ceux qui, avec des millions d'autres, n'ont aucune place, dans aucun cimetière : ce sont leurs sépultures, car "à partir du moment où aucun être humain n'est laissé sans sépulture, où aucun n'est retranché de la mémoire des vivants, l'humanité s'accomplit vraiment" (Georges Bensoussan/ dictionnaire de la Shoah).

En ce lieu, comme à Pithiviers, des milliers de Juifs furent internés après la rafle dite du "billet vert" et après la rafle du Vel d'Hiv, pour y être assassinés.

Parmi eux, près de 4 000 enfants, dont aucun n'est revenu : "la Shoah dans la Shoah" : l'extermination des enfants juifs jusqu'au dernier. (Gérard Rabinovitch).

Arrestations et internements précédés par le fichage, l'exclusion, la spoliation avant même, parfois, la demande des Allemands. Le projet d'extermination des Juifs a été secondé par le zèle servile, la collaboration de l'administration et les services de police de Vichy. Toutes les mesures prises, signant la faillite de la Démocratie, ne provoquèrent que très peu de protestations. Car le crime contre l'humanité perpétré sur le sol européen est advenu dans le silence assourdissant, l’indifférence des nations, à l'origine du terrible sentiment d'abandon, de solitude ressenti par de si nombreux Juifs de France.

Comme l'a écrit le juriste Wladimir Rabi :" Nous avons été "la balayure du monde". Contre-nous, chacun avait licence".
"Des prémices de la guerre, jusqu'à sa fin, les gouvernements démocratiques, les organisations internationales, le Pape, etc. se sont tus devant la persécution et l'extermination des Juifs"...On pourrait multiplier les exemples de soumission, de démission, d'aveuglement et de lâcheté. L'absence de volonté de sauver les Juifs fut masquée par de nombreux alibis (Gérard Rabinovitch). "L'abandon des Juifs : une réalité sèche, nue et sans appel" (Georges Bensoussan).

Quelques exemples :

En 1933, un Juif de Haute Silésie témoignait devant la SDN à Genève des "pratiques barbares des hitlériens à l'égard des Juifs. Le Président a alors donné la parole au représentant de l'Allemagne, Joseph Goebbels : "Nous sommes un Etat souverain...nous n'avons à subir le contrôle ni de l’Humanité, ni de la SDN". L'Allemagne échappa à la condamnation (René Cassin).

À la conférence d'Evian, en 1938, la SDN avait maintenu les législations restrictives sur l'accueil des Juifs menacés de mort. Aucune aide ne fut décidée, seulement un prêche de bons sentiments. La conférence n'aura servi qu’à justifier la politique allemande contre les Juifs.

En mai 1939, le paquebot St Louis transportait, depuis Hambourg, 907 passagers juifs allemands fuyant vers Cuba et l'Amérique. (USA et Canada). Tous ces pays ont refusé de les accueillir. Retour en Allemagne où la plupart finiront dans les fours crématoires. "Le St louis fut emblématique de ces bateaux fantômes condamnés à errer sans pouvoir s'amarrer" (Serge Klarsfeld/ préface du livre de Diane Afoumado: EXIL IMPOSSIBLE)

Pendant la guerre, je cite deux exemples :

  • En août 1942, Gerhardt Riegner, représentant du CJM en Suisse, adresse des informations alarmantes à Londres et Washington.
  • De même, fin 1942, le courrier du gouvernement polonais en exil, Jan Karski rend compte à Londres et Washington de l'extermination programmée de plusieurs millions de Juifs.

Aucune suite ! Informations occultées. Silences terrifiants face aux cris d'épouvante.

1943, dernier appel des Juifs lors de l'insurrection du Ghetto de Varsovie : "le monde de la liberté et de la justice se tait". Aujourd’hui, il s'agit d'appréhender la singularité de l'extermination des Juifs d'Europe..., la spécificité d'un fait historique, l'aboutissement de siècles d'oppression et de violences extrêmes contre le peuple juif.

La Shoah, génocide planétaire, s'inscrit dans le temps long, il est incompréhensible en dehors de l'étude d'une culture européenne qui a fantasmé la mort des Juifs des siècles durant. (Georges Bensoussan).

Dans le régime totalitaire allemand, l'Etat nazi a pris le contrepied de ce qui rend possible la vie entre les hommes : cela abouti à une rupture dans la civilisation : la notion de personne humaine a été abolie par le Droit nazi qui a légalisé l'anéantissement du peuple juif pour crime de naissance ; ce discours juridique autorisait qui a le droit d'habiter la terre ou non, expulsant les Juifs du genre humain. (Georges Bensoussan).

En particulier, lorsque l'inversion des valeurs passe par le dévoiement du langage, manipulant les passions, langage meurtrier légitimant le mensonge et la terreur, héroïsant la violence extrême, à l'instar des gangsters et des maffieux.

Le récit historique nous révèle cette vérité : pour la mise en œuvre de ce dessein criminel, ce "trou noir de l'histoire", la Shoah, où" la culture avait conclu un pacte avec la barbarie", (Sigmund Freud), c'est les moyens détournés de la civilisation au service du mal radical : les camps de la mort et le gazage des victimes détruites comme le mal absolu, comme de l'ordure, les camps de Belzec, Sobibor, Treblinka figurant le paroxysme de cette barbarie.

L'histoire de la Shoah a entamé notre confiance en la nature humaine, nous laissant un sentiment de fragilité, de précarité dans un monde où "tout est possible", où le mal radical hante l'espèce humaine. Mal radical que les démocraties ont peiné à élucider et à anticiper (Gérard Rabinovitch).

Le travail d'Histoire, cette mémoire qui nous oblige, nous amènent à percevoir et analyser les dangers du présent, à "voir ce que l'on voit", dans notre pays, en Europe et dans le monde en général.

Dans notre monde hyper connecté-internet et les réseaux sociaux-la progression de la technologie va de pair avec l'ignorance et l'obscurantisme, facteurs d'hyper violence, nourrie par la manipulation des mots :  ainsi, l'abus de l'usage du terme "nazi", disqualifiant tout interlocuteur ou opposant, banalisant sa signification.

Je pense à l'assassinat de Samuel PATY ou au harcèlement, destructeur de vie, de la jeune MILA.
À cet instant, je reviens à ce terrible constat : la pérennité de l'antisémitisme, survivant à toutes les convulsions de l'Histoire, mutant comme un virus indestructible.
Cet antisémitisme qui a encore augmenté depuis un an, antisémitisme en mots, injures, menaces, en écrits, en actes.
L'antiracisme dévoyé qui hait le Juif, "parangon de l'oppresseur raciste et colonialiste" (Pascal Bruckner) pour le mouvement "woke" aux Etats Unis.

Illustration d'une certaine mutation du virus antisémite : l'antisionisme," dont le boycott et la diabolisation d'Israël s'apparentent aux mesures juridiques des nazis pour exclure les Juifs avant de les assassiner. Israël présenté comme la source du MAL, donc juste de détruire." (Simon Epstein).

Cette détestation d'Israël n'est pas sans lien avec les attentats meurtriers perpétrés en France depuis deux décennies : Depuis 2003, 14 Juifs assassinés pour ce qu'ils sont par des tueurs islamistes français, passés par l'Ecole de la République.

Sans citer les noms de toutes les victimes, je rappelle ceux des 3enfants de l'Ecole Ozar Hatorah de Toulouse, Arié et Gabriel Sandler, Myriam Monsonégo, tués de sang-froid par l'assassin qui empoigne Myriam par les cheveux et lui loge une balle dans la tête à bout portant." Ainsi, il réitère le geste des SS (Robert Badinter).

Très peu de citoyens français ont manifesté après cet assassinat, comme si cette tragédie ne concernait que la "communauté juive", formule utilisée par certains médias ayant coutume de diviser la France en "communautés"
"L'antisémitisme est l'affaire de tous les français" (Amine El Khatmi).

Est-ce indifférence ? Le signe de ce "nouvel" antisémitisme ? Ou un effet du déni de la réalité, "ce cancer qui ronge notre société" (Elisabeth Badinter). Déni qui touche plusieurs couches de notre société...

(Déni des médias, silence ou omission ou minoration des crimes par ignorance volontaire ou indifférence, dénis judiciaires dans la lenteur ou le refus de qualifier l'antisémitisme, déni de justice dans l'absence de procès de l'assassin de Sarah Halimi, justifications sociologiques, alibis psychiatriques, aveuglement et complaisance de certains intellectuels, tentations d'accommodements de certains élus...)

Face à "la volonté de détruire l'idée d'humanité commune" (Pascal Bruckner), face à ces faits concernant l'Histoire de la Shoah et la féroce actualité du présent, il nous incombe" d'élever la digue de la connaissance" (Gérard Rabinovitch) qui "décrypte la machine de mort" (Vassili Grossman) en s'appuyant sur la voix des témoins, les travaux des historiens, véritables "vigiles des faits", sur la lecture des grands écrivains, sur l'Art, les forces de l'Esprit.

Il s'agit d'un combat civique, celui de la civilisation contre la barbarie.

A cet instant, je souhaite rappeler le travail d'Histoire et Mémoire du CERCIL/ Musée mémorial des enfants du Vel d'Hiv dont on a célébré les 30 ans en septembre 2021.
Travail remarquable effectué par une équipe sous la présidence d'Hélène Mouchard-Zay et qui se poursuit aujourd'hui sous la responsabilité d'Anaïg Lefeuvre.
MERCI à elles et à tous ceux et celles qui m'ont accompagnée (qui nous ont accompagnés) dans cette belle aventure.

20220515-122037

Eliane Klein