Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Blog du Crif - De Tokyo à Molenbeek: la fabrique du terroriste

04 Novembre 2021 | 106 vue(s)
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France

Vendredi 9 août 2024, s'est tenue la cérémonie en hommage aux victimes de l'attentat terroriste de la rue des Rosiers, organisée par le Crif en collaboration avec la Mairie de Paris. La cérémonie s'est tenue devant l'ancien restaurant Jo Goldenberg, au 7 rue des Rosiers. À cette occasion, le Président du Crif a prononcé un discours fort et engagé dans la lutte contre l'antisémitisme sous toutes ses formes, en dénonçant notamment celle qui se cache derrière la détestation de l'Etat d'Israël.

Mardi 16 juillet 2024, s'est tenue la cérémonie nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites et d'hommage aux Justes de France, commémorant la rafle du Vél d'Hiv organisée par le Crif en collaboration avec le Ministère des Armées. Cette année, à l'approche des Jeux Olympiques, la cérémonie s'est tenue au Mémorial de la Shoah. À cette occasion, le Président du Crif a prononcé un discours fort et engagé, dans un contexte national et international difficile.

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« C’était un monstre, pas un musulman », pouvait-on lire sur le pont de Westminster après l’attaque terroriste qui  eut lieu en 2017. Voilà une belle phrase, une de celles qui rassurent et qui empêchent de penser.

C’est un réflexe pavlovien que de rejeter tout lien entre l’Islam et l’acte de terreur commis au nom de l’Islam. Mais c’est aussi une réaction de défense très inefficace que de rejeter dans la catégorie des monstres les auteurs d’actes qui nous font horreur. On connait les ressorts au fond très rationnels du terrorisme, en particulier sa dépendance avec ce que Margaret Thatcher appelait l’oxygène de la publicité. Mais il n’y pas de terrorisme sans terroristes. D’où vient le comportement des terroristes, en particulier les auteurs d’attentats suicides?

Evidemment la perspective des 72 vierges énamourées joue un rôle très important chez les islamistes. Le sceptique rejette le motif d’un haussement d’épaules, comme il rejette la fable du père Noël, mais il n’ose pas l’affronter en face, car  on lui a appris qu’il ne fallait pas critiquer les croyances d’autrui. Il y a aussi l’explication du terrorisme comme arme de la misère et du désespoir, explication qui se révèle toujours aussi fausse, mais qui continuera d’être mise en avant tant elle est psychologiquement confortable.

Après un mois passé à écouter les victimes, familles et survivants, la Cour d’Assises spéciale de Paris se penche sur la personnalité des accusés des attentats du Bataclan. Salah Abdeslam se décrit comme quelqu’un de gentil, qui n’a manqué de rien dans son enfance. Il a un diplôme d’électrotechnicien  et avait un travail. Et puis, un cambriolage, la prison, le licenciement et les petits boulots, mais en même temps l’alcool et les boites de nuit, jusqu’à ce que la religion donne enfin un sens à sa vie. Au début du procès, il avait demandé lui, le combattant de l’Etat islamique, si les victimes de la France en Syrie pourraient aussi prendre la parole et il s’était plaint d’être traité pire qu’un chien par la justice française. Salah Abdeslam, co-auteur de 130 assassinats, veut passer pour un héros et pour une victime. Il y a des gens qui lui décerneront ces qualificatifs. Ni lui, ni eux ne sont des fous.Ils ont leur logique. Nous savons aujourd’hui que c’est une logique très difficile à éradiquer, mais nous devons la combattre sans faiblesse.

À l’époque où on ne parlait pas encore de terroristes islamistes, mais déjà de terroristes palestiniens, je m’étais demandé ce qui avait poussé des japonais à venir faire un carnage sur l’aéroport de Lod. C’était le 30 mai 1972, 26 morts, dont 17 chrétiens portoricains en pèlerinage. C’était le premier des attentats -suicides de civils de l’histoire car les trois auteurs devaient se réserver la dernière de leurs balles. Paradoxalement l’un d’entre eux a survécu et la justice israélienne a refusé de lui donner la satisfaction de le condamner à mort, comme il le réclamait. Plus tard, il a été échangé et est devenu citoyen libanais: ce privilège rarissime pour un étranger, était dû à ses mérites exceptionnels….C’est  l’exemple de ces japonais que les Tigres tamouls ont imité et que les islamistes ont développé avec le succès que l’on sait. Le terme de kamikaze est resté, mais n’oublions pas que les cibles des kamikazes étaient militaires.

Le livre de Michaël Prazan, Souvenirs du rivage des morts, m’a éclairé, non seulement sur cet attentat, mais sur  d’autres qui ont lieu au cours de ces années 70  qu’on a appelées « les années de plomb ». Ce livre  où  l’exactitude historique ne nuit jamais à la qualité de l’intrigue, montre comme la puissante révolte des étudiants au Japon contre l’alliance entre leur pays et les Etats Unis a trouvé un exutoire dans les camps d’entrainement au Liban du FPLP, dont ils dépendaient financièrement. Ils n’avaient jamais entendu parler des Juifs ou d’Israël. Il s’agissait pour eux de défendre la révolution mondiale contre l’impérialisme. On leur a mis dans le crâne que les sionistes étaient la pointe avancée du complot impérialiste et que chaque touriste en Israël ,complice de fait  de ce complot, était  une cible légitime.

Pendant 20 ans, l’armée rouge japonaise, dirigée par une femme, a été une organisation terroriste particulièrement redoutée. D’où ses membres tiraient-ils leur impitoyable et suicidaire détermination? Pas de la religion, pas du charisme des chefs, pas même  de l’idéologie où la révolution mondiale se mélangeait parfois avec la nostalgie du Japon impérial, mais plutôt d’un ethos d’obéissance à tout prix, d’une volonté d’honorer ses engagements, d’un certain dédain de la vie et peut-être, comme l’a écrit Hannah Arendt, et cela lui a été reproché s’agissant de Eichmann, d’une anesthésie de la pensée.

Dans les camps d’entrainement palestiniens au Liban, les apprentis terroristes provenaient aussi d’autres pays, en particulier de l’Allemagne. Ceux-là n’avaient pas la nostalgie du Reich où leurs parents s’étaient compromis. Ils luttaient aussi contre l’impérialisme américain, ils étaient manipulés par les services de l’Allemagne de l’Est et se proclamaient antisionistes. Quand le 4 juillet 1976,  les terroristes allemands à Entebbe ont fait le tri entre les passagers juifs et ceux qui ne l’étaient pas, de rares militants comme Hans Joachim Klein, se sont retirés du combat antisioniste, ayant compris que s’il ne s’était pas agi de Juifs, la cause palestinienne n’aurait pas eu autant d’adeptes….

En France, les mouvements d’ultra-gauche de l’après-mai 1968 n’ont pas versé dans le terrorisme. On s’en félicite et on s’en étonne. Ce n’est que plus tard qu’est apparu  Action Directe, un mouvement terroriste dont les cibles étaient probablement suggérées par leur bailleur de fonds, l’Iran de Khomeini…

En se revendiquant combattant et victime, Abdeslam résume la logique du terroriste. C’est celle des Einsatzgruppen, ces unités de tueries mobiles que Michael Prazan, encore lui, a bien décrites. Ils tuaient les juifs  pour venger l’Allemagne des malheurs que les Juifs avaient fomentés contre elle, et l’assassinat des enfants n’était qu’une mesure prophylactique des malheurs que ceux-ci ne manqueraient pas de provoquer si on les laissait vivre.

Fût-ce au hasard de leur présence en un lieu et un moment donné, ceux que Abdeslam et ses émules assassinent ne peuvent pas être innocents…..

Richard Prasquier