Yonathan Arfi

Président du Crif, un militant juif et citoyen

Hommage - Discours de Yonathan Arfi à la cérémonie du Yizkor 2022

03 Octobre 2022 | 49 vue(s)
Catégorie(s) :
France

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Antisémitisme

Vendredi 9 août 2024, s'est tenue la cérémonie en hommage aux victimes de l'attentat terroriste de la rue des Rosiers, organisée par le Crif en collaboration avec la Mairie de Paris. La cérémonie s'est tenue devant l'ancien restaurant Jo Goldenberg, au 7 rue des Rosiers. À cette occasion, le Président du Crif a prononcé un discours fort et engagé dans la lutte contre l'antisémitisme sous toutes ses formes, en dénonçant notamment celle qui se cache derrière la détestation de l'Etat d'Israël.

À l'occasion des 80 ans du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), les membres du Crif ont été reçus à l'Élysée par le Président de la République, Emmanuel Macron, et Madame Brigitte Macron, lundi 18 mars 2024. Le Président du Crif, Yonathan Arfi, a prononcé un discours à cette occasion. 

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Opinion

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La 77ème cérémonie du Yizkor organisée par le FARBAND - Union des Sociétés Juives de France s'est déroulée dimanche 2 octobre 2022, à 11h30 au cimetière de Bagneux. 

Cérémonie du Yizkor – 2 octobre 2022

Monsieur le représentant de la maire de Paris,
Madame la Maire de Bagneux,
Monsieur le Maire de Montrouge,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et messieurs les dirigeants d’institutions juives,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,

« À l’âge d’un Juif, il faut toujours ajouter 5000 ans ».

Voilà comment en quelques mots, le philosophe français Edmond Jabès a su exprimer le rapport singulier des Juifs à la Mémoire, la responsabilité du souvenir que portent les Juifs, à titre collectif.

La cérémonie du Yizkor qui nous réunit ce matin est la mise en acte de cette responsabilité.

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Mesdames, messieurs, il y a deux Yizkor.

Il y a d’abord, le Yizkor des synagogues, dont l’une des cérémonies se tiendra dans quelques jours, au cœur de la ferveur de Yom Kippour, quand la journée sera bien avancée, que la fatigue aura gagné même les plus résistants des fidèles.

Les uns, ceux qui n’ont pas encore été touchés par le deuil d’un parent proche, devront quitter les rangs de l’assemblée, tandis que les autres se lèveront pour se parler, se replacer, se rassembler. D’une voix grave, montera une supplique à Dieu de se souvenir des défunts.

Mystérieux et émouvant, voilà le cérémonial de Yizkor, dans sa composante spirituelle et religieuse.

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Dans l’autre cérémonie de Yizkor, celle qui nous réunit ce matin en hommage aux victimes de la Shoah, j’entends retentir un écho supplémentaire.

Ici, notre présence n’est pas déterminée par une règle ou un statut particulier, mais par notre seul sens des responsabilités collectives.
Ici, nous sommes tous invités à participer et à nous souvenir, peu importe notre lien personnel, historique ou affectif avec les victimes, peu importe que nous soyons juifs ou non, croyants ou non.
Ici, le souvenir que nous invoquons n’est pas nécessairement celui d’un parent proche ou d’un être cher. C’est celui d’une tragédie collective, qui porte le nom des 6 millions de Juifs déportés, engagés volontaires, combattants des ghettos, soldats, résistants,… mais aussi de tous les blessés, cachés, mutilés, témoins des atrocités dont les plaies ne sont pas toujours aussi visibles, et pourtant bien réelles… À tous ceux-là, chacun d’entre nous est ce matin un peu relié.

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Alors, quel est le sens de notre cérémonie ? Est-ce un simple rendez-vous du souvenir ? Commémorer, est-ce seulement faire acte de présence lors d’une cérémonie, en faisant face à un monument comme il en existe tant d’autres ?

Non, chers amis, Yizkor ne se résume pas à cela.

Dans la tradition juive, celui qui récite la prière de Yizkor ne se contente pas d’implorer Dieu de préserver le souvenir d’un proche. À sa demande, il adjoint également une promesse, celle de faire acte de tsédaka, c’est-à-dire de charité mais surtout de justice, en l’honneur du défunt. Sans l’accomplissement de cet engagement, sa prière demeure inaudible.

Autrement dit, le souvenir n’a de véritable portée que s’il se transforme en acte, un acte concret, vivant et positif, qui contribue à transformer le monde, à le rendre plus juste. C’est là que résident la grandeur et la profondeur de l’acte de Mémoire dans le monde juif.

Je connais le débat : faut-il parler de devoir de Mémoire ou de travail de Mémoire ? À cette alternative, répondons en parlant donc d’acte de Mémoire.

Ainsi, assister à une cérémonie de Yizkor, ne consiste pas en une participation passive. Notre présence ce matin interroge notre responsabilité d’action au présent. A titre individuel, je laisse chacun y songer pour lui-même. Mais à titre collectif, il y a encore tant que nous pouvons faire !

Faire ensemble acte de Mémoire et de justice, c’est d’abord dénoncer haut et fort l’antisémitisme, qui change de visage au fil de temps mais révèle toujours la même haine, qu’elle soit islamiste, antisioniste, complotiste, négationniste, d’extrême-droite, d’extrême-gauche…

Faire acte de Mémoire et de justice, c’est ne jamais accepter les complaisances et les petites compromissions du clientélisme et du populisme de ceux qui prétendent lutter contre l’antisémitisme mais ont défilé avec des organisations islamistes

Faire acte de Mémoire et de justice, c’est déceler la perversion des discours qui assimile Israël, l’État refuge des Juifs, qui accueillit tant de rescapés de la Shoah, à un régime d’apartheid. C’est rappeler cette double vérité : les Juifs ont droit à un État et Israël est un Etat de droit.

Faire acte de Mémoire et de Justice, c’est réaffirmer notre vigilance face au risque d’une extrême-droite en apparence aseptisée mais galvanisée par le basculement en Italie ou en Suède et qui se sent si proche de l’emporter, demain, en France.

Faire acte de Mémoire et de justice, c’est traquer les théories du complot, les fake news, les manipulations qui paralysent la transmission du savoir universel, c’est tenir ensemble la promesse républicaine de l’éducation qui émancipe,

Faire acte de Mémoire et de justice, c’est refuser la facilité qui voudrait que l’antisémite, le raciste, soit toujours l’autre, c’est inviter chacun à balayer devant sa porte,

Mais faire acte de Mémoire et de justice, c’est aussi rendre le monde, tout le monde, plus juste en luttant contre toutes les discriminations, contre l’intolérance, la haine, les mesures d’exclusion et de rejet véhiculées plus que jamais par les populistes de tous bords,

Faire acte de Mémoire et de justice, enfin, c’est au fond réaffirmer la centralité de l’humanisme dans les valeurs juives et, je le crois, dans notre projet de société.

À nous de le traduire en actes.

Yizkor, que nous nous souvenions et que nous agissions.

 

Yonathan Arfi, Président du Crif